
Même les Jeux Olympiques n’ont pas réussi cet exploit. Ce week-end, au cœur du Centre Pompidou, les labels Because Music et Ed Banger ont accompli l’impossible : faire remonter sur scène Thomas Bangalter, à visage découvert, seize ans après son dernier set public. Et comme une surprise n’arrive jamais seule, la moitié de Daft Punk est apparue aux côtés d’une autre légende, de la nouvelle génération cette fois : le britannique Fred Again..
“Un alignement des planètes”, résume Pedro Winter, l’instigateur de cette rencontre inouïe. “Même dans mes rêves les plus fous, réunir un tel line-up n'aurait jamais été envisageable.” Il l’a pourtant fait. Retour sur les coulisses de cet événement gardé secret jusqu’à la dernière minute, et qui a, le temps d’une nuit, fait battre le cœur de la French touch à nouveau.

L’alignement des planètes
Le moment était déjà historique. Le Centre Pompidou, avant sa fermeture pour 5 ans de travaux, avait choisi de donner ses clés au label parisien Because Music pour un weekend de clôture à couper le souffle. Le line-up du samedi, piloté par Ed Banger, s’annonçait lui aussi solide, avec le meilleur de l’écurie réunie pour l’occasion : Breakbot & Irfane, Myd, Tatyana Jane, Pedro Winter b2b Erol Alkan…
“Ce line-up, j’en étais déjà très fier, je le trouvais sexy, croustillant pour le public…” {...} “Mais plus les jours avançaient, plus je me disais que ça serait cool qu’il se passe quelque chose pendant cette soirée-là,” se souvient Pedro Winter.
Alors, peu après 1h du matin, une photo publiée sur les réseaux sociaux va totalement faire basculer le cours de la nuit. Sur un flyer aux airs des mythiques évents “Respect is Burning” des années 90 - qui pouvaient réunir sur une même affiche des légendes comme Cassius, Romanthony, Daft Punk ou encore Dimitri From Paris -, on découvre à la surprise générale deux noms s’ajouter à la liste, en toute discrétion : Thomas Bangalter et Fred Again..
Fake News? Difficile à croire, tant Because et Ed Banger sont habitués aux coups d’éclat musicaux. En témoignent par exemple l’apparition de Skrillex sur la scène d’Ed Banger à We Love Green en 2023, ou le DJ set surprise de Justice en février dernier à La Boule Noire, pour la soirée Toxic organisée par Because. Cette fois encore, Pedro Winter s’activait en silence depuis plusieurs semaines, déterminé à offrir au public du Centre Pompidou un cadeau que lui seul pouvait offrir.

Thomas Bangalter et l’art de la rareté
Depuis leur séparation - explosive - en février 2021, les Daft Punk ont tenu leur promesse : plus un signe de vie, mis à part quelques rééditions, et des projets solo bien éloignés de la dance music.
En juin 2023 pourtant, tout le monde avait cru à un retour. Sur le plateau de France Inter, le directeur artistique des Jeux Olympiques de Paris Thomas Jolly avait laissé entendre une participation des Daft Punk lors de la cérémonie d’ouverture. “Ce serait très heureux qu’ils soient à cette cérémonie”, s’était-il enthousiasmé, avant de confirmer par un rire complice, et à demi-mot, leur présence.
C’était sans compter l’immense résonance médiatique qu’a eu cette vraie fausse annonce, balayant par la suite toute hypothèse d’une prestation du groupe mythique. Car les Daft aiment par-dessus tout créer la surprise, l'inattendu - les images de la pyramide de LED à Coachella vous viennent en tête ? C’est normal.

Mais alors pourquoi Thomas Bangalter a-t-il accepté de jouer au Centre Pompidou ? Sans doute en partie car le producteur a une histoire particulière avec le centre d’art contemporain. “C'est un bâtiment qui lui tient beaucoup à cœur”, témoigne Esther Dugowson, programmatrice de Because Music. À 18 ans à peine, Guy-Manuel Homem de Christo et lui se rendaient pour la première fois en rave - une soirée Armistice - dans ce lieu qui les marquera à jamais, et fera naître leur envie de produire de la musique. “Nous découvrons enfin, sur un sound system qui s'y prête, cette musique du dancefloor, la house de Chicago et la techno de Detroit, qui allait changer le cours de notre existence,” avait-t-il relaté dans la préface du Chant de la Machine.
En 2023, comme un hommage aux racines de leur musique, le duo avait alors dévoilé en avant-première à Beaubourg un titre inédit composé dix ans plus tôt, “Infinity Repeating”. Mais il y avait sans doute de quoi rester sur sa faim pour Bangalter, désirer un vrai retour aux sources, celui qui se réalise sans casque de robot, et derrière les platines, au contact de la foule.
En septembre, alors qu’il déjeune avec Pedro Winter et que le sujet de la soirée au Centre Pompidou est évoqué, Thomas Bangalter lui confie son envie de participer au projet. Mais à une condition : “il était important pour lui d’être au milieu de nous, Erol et moi”, se rappelle son ancien manager. “La tête d’affiche, pour nous, c’était Beaubourg”.
Aussitôt, la machine se met discrètement en marche. Les équipes de Because Music sont mises au courant tout juste une quinzaine de jours avant l'événement. “On était un cercle très restreint à le savoir, environ une dizaine de personnes,” révèle Esther, la programmatrice de l'événement.
Le 25 octobre, pile au passage à l’heure d’hiver, symbole d’un temps suspendu où la nuit s’octroie une heure de plus, Thomas Bangalter arrive enfin sur scène et le miracle prend forme. Un extrait d’un discours prononcé en 1971 par Jacques Chirac et détaillant la création prochaine de Beaubourg résonne sur les murs du lieu, avant de laisser place au morceau Contact des Daft Punk. De quoi donner aux teufeurs de l'âge d’or de la french touch le sentiment de revivre cette parenthèse hors du temps, et aux plus jeunes qui en ont toujours rêvé, de pouvoir enfin la savourer. “Les gens avaient les larmes aux yeux”, confie Esther.
Suivront entre autres son remix de Signatune par le regretté DJ Mehdi, un passage a capella de Gil Scott Heron, ou encore un des titres de Roulé, son premier label. “Le set qu'il a préparé, il est à l'image de Thomas : rigoureux, intelligent, audacieux… Il y a un message derrière tout ça,” analyse Pedro Winter.

Fred Again.. & Bangalter : la rencontre de deux mondes
Faire venir Fred Again.., phénomène mondial de la scène électronique actuelle et en pleine tournée à guichets fermés, ce n’était pas gagné non plus. Lorsque le boss d’Ed Banger, qui avait eu vent de sa future tournée, lui propose il y a un peu plus d’un mois de mixer à la soirée, ce dernier botte en touche, incertain de son agenda. Mais Pedro Winter n’est pas prêt de lâcher l'affaire, fidèle à son goût pour les crossovers avant-gardistes, et son habileté à tisser des liens entre les générations.
“Pedro, c'est quelqu'un d'extrêmement fédérateur”, souligne à juste titre Esther de Because Music. Un état d’esprit que la figure de la french touch défend sans détour : “À 50 ans, il est temps de se remettre en question et de penser à la transmission, et c'est ce que j'essaye de faire depuis pas mal de temps. {...} C’est important de tendre des ponts avec la nouvelle génération.”
Alors, lorsque la tournée de Fred Again.. se précise, et qu’il apprend son passage à Lyon la veille de Because Beaubourg, l’artisan de la French Touch décroche à nouveau son téléphone, avec une nouvelle carte en main : la venue de l’ex Daft Punk. “Quand j’ai appelé Fred pour lui dire {que Thomas Bangalter allait mixer}, il est tombé de sa chaise. Et évidemment, il était partant”, raconte Pedro Winter.
Quelques semaines plus tard, la rencontre se réalise enfin. “C’est les deux heures les plus folles de toute ma vie !” s’émeut l’artiste britannique au micro. On sent l’émotion sincère d’un gamin devant l’une de ses plus grandes inspirations musicales, lui qui comme un hommage, jouait 24h auparavant un mashup des Daft dans la Halle Tony Garnier. “Dès qu'il voyait Thomas, il avait des étoiles dans les yeux, il le prenait dans les bras, il était fasciné !”

Au-delà du symbole, un b4b historique ?
Alors oui, c’était un peu le bordel. Faire jouer sur le même booth une légende de la french touch longtemps habituée à des shows millimétrés, la plus grande figure de la scène UK en pleine tournée européenne, le boss d’un mythique label français et un pionnier de l’électro punk… L’image est folle. Et musicalement, le pari est ambitieux.
Mais c’était justement ce partage et cet échange que souhaitaient les artistes, bien que fragmentés. “Ce que je trouve assez génial, c’est que {Fred Again.. et Thomas Bangalter} ont insisté pour ne pas avoir un slot à eux tous seuls, explique Pedro Winter. Ça a rendu le set super spontané, familial, et j’espère que c’est comme ça que les gens l’ont ressenti.”
Malgré des styles éloignés, les tracks fusent et un vrai dialogue se noue au fil du set. On se souviendra entre autres de l’édit UK d’un morceau de Mr.Oizo balancé par Fred Again.., ou d’un mashup de Justice et Skrillex joué par Pedro Winter…
Sur les coups de 4h, la star britannique lâche un dernier track magistral. Avec un mashup de son morceau Billie et de Digital Love des Daft, on la tient, la magie de cette soirée qui restera gravée dans le marbre. Le résultat d’un cocktail explosif qui parvient enfin à délivrer pleinement sa saveur, à se sublimer dans son improvisation totale. Les deux artistes se prennent dans les bras, sincèrement émus.
“Je m'en remettrai jamais, j'ai passé la soirée à me dire « putain », on vit l’Histoire”, se souvient un des heureux élus présents ce soir là dans le public. Ce que Pedro balaye pour l’instant, en toute humilité : “on va laisser l'histoire se faire avant de dire qu'on a marqué l'histoire. Mais en tout cas, on a rendu les gens heureux ce week-end”.








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