Acid House, Laurent Garnier, Madchester : vies et mort de L'Hacienda

Lire

Premiers pas de Laurent Garnier, concert inédit de Madonna, guerre de gangs et poches pleines de bonbons : malgré un parcours semé d'embûches de sa création en 1982 à sa fermeture brutale le 28 juin 1997, la légende demeure. Fruit de la vision commune de musiciens, producteurs, designers et boss de label, L’Haçienda, le “palais du peuple”, symbolise à elle seule un moment où Manchester est devenue un épicentre mondial de la culture underground, annonçant la révolution rave et la scène acid house de la fin des années 80.

En 1980, Joy Division se transforme en New Order après le suicide de son chanteur Ian Curtis. Le label du groupe, Factory Records, cherche alors à se réinventer. Après une virée à New-York, les fondateurs de Factory Records Tony Wilson et Alan Erasmus, le producteur Martin Hannett, le bassiste de New Order et de Joy Division Peter Hook, le manageur des groupes Rob Gretton et Peter Saville, jeune designer, ont alors l’idée d’ouvrir un club.

 « En 1981, nous remontions la pente. Nous aimions l’ambiance de débauche qui régnait dans les lieux que nous découvrions à New York : Hurrah, Danceteria. A l’époque, à Manhattan, vous trouviez des clubs torrides, moites et obscurs (…) puis vous vous rendiez dans des endroits tape-à-l’œil, comme le Studio 54. » raconte Peter Hook.

UN RENOUVEAU ARCHITECTURAL

En déambulant dans la ville de Manchester, terre d’usines en tout genre laissées à l’abandon, ils tombent par hasard sur le lieu parfait pour leur futur club : l’annexe d’un bâtiment ayant servi à entreposer des yachts. Cette trouvaille est une évidence, reste à trouver son décorateur. Après avoir essayé de convaincre en vain le directeur artistique mancunien Peter Saville, Tony Wilson fait finalement appel au brillant décorateur londonien Ben Kelly. L’Haçienda est en route. Ben Kelly bénéficie d’une liberté totale pour transformer l’ancien hangar. Son objectif ? Construire un théâtre grandeur nature avec des matériaux du quotidien utilisés de manière optimale, avec en consignes de Factory : « grand bar, petit bar, restauration, scène, dancefloor, balcon, et bar à cocktails au sous-sol ». 

La façade de L'Hacienda

L’espace est peint dans des tons froids de bleu et de gris, avec des piliers de balcon vivement colorés et des bandes diagonales peintes sur les colonnes, qui deviendront l’éternel symbole du club. Le thème urbain se poursuit à travers des marquages directionnels et d’avertissements façon chantier, des enseignes de bar en néon, des bornes et des catadioptres dessinant les contours du dancefloor.De l’extérieur, seule la plaque de granit gravée à la main, « FAC51 The Haçienda », incrustée de feuilles d’argent et de peinture émaillée rouge, indique ce qui se passe entre les murs. 

THE BIG DAY

21 mai 1982: l’Hacienda ouvre ses portes à Manchester dans une ambiance électrique – et chaotique. La soirée inaugurale, marquée par un show interrompu du comique Bernard Manning et la première performance européenne du groupe new-yorkais ESG, laisse un souvenir mitigé. Pour la chanteuse Renee Scroggins, le lieu « ressemblait à un chantier ».Le lieu évoque davantage un théâtre ou un centre d’art contemporain qu’une boîte de nuit. Prévu à l’origine pour un budget de 70 000 livres (environ 127 000 euros actuels), le coût des travaux s’envole jusqu’à 344 000 livres, une somme principalement prise en charge par le groupe New Order.

Cependant, L’Haçienda se forge rapidement une solide réputation, notamment à travers de nombreux concerts iconiques. Fort d’une programmation exigeante et défricheuse, le lieu voit défiler des futurs monuments de la musique:  The Smiths, Grandmaster Flash, The Chemicals Brothers, Cocteau Twins …  À la manière d’un Studio 54 moins guindée et plus punk, le beau monde se retrouve également sur le dancefloor de l’Hacienda: les frères Gallagher se mêlent aux clubber, tout comme certains footballeurs de Manchester City et de Manchester United. 

ACID IN THE HOUSE

Le club deviendra également à tout jamais le berceau de l’explosion acid house dans le nord de l’Angleterre et l’épicentre de “Madchester”, deux mouvements musicaux emblématiques qui feront ensuite le tour du globe. Selon une défintion de Supersonic Records, "Madchester" se définit par un “Mot-valise de « mad » (fou) et Manchester (ville d’origine de ce style particulier), le Madchester désigne ce courant qui regroupe les artistes mancuniens qui mêlent le rock psychédélique à une rythmique funk, souvent produit façon house music “ 

À la fin des années 80 et en difficulté financière, les gérants du club laissent davantage de place aux DJs. Ces derniers, de plus en plus populaires aux yeux de la jeunesse, coûtent à l'époque beaucoup moins chers que les groupes de musique. L’ouragan rave est en marche et s’abat sur la ville de Manchester. Le monde de la nuit bascule dans une ère où la dance music prend désormais toute la place sur le dancefloor. Les pilules d'ecstasy entrent également dans la ronde, remplissant les poches des clubbers de l’Haçienda. 

LES DÉBUTS DE GARNIER 

En 1987, un jeune DJ français qui vient de s’installer au Royaume-Uni décroche son premier engagement professionnel en tant que DJ au sein de l’Haçienda. Se présentant sous le nom de DJ Pedro, il s’agit de Laurent Garnier au tout début de sa carrière. Le club se situe alors à une période charnière de son histoire. La-bas, Garnier y découvre la musique house : « Ça m’a bouleversé. Je dansais à la Haçienda et Mike Pickering a passé Mantronix, Joyce Sims, puis il s’est arrêté et a lancé Love Can’t Turn Around de Farley Jackmaster Funk. » confie-il à Mixmag en 1994. 

« Tu vois quand quelqu’un te met un coup de poing et que tu le ressens profondément ? Eh bien, j’étais sur la piste de danse et j’ai pris un coup énorme. Je suis allé direct à la cabine DJ, j’ai frappé à la porte en disant : “Dis-moi c’est quoi ce bordel. C’est quoi ce son ?” J’avais jamais entendu un truc pareil. » ajoute-il. 

Malgré cette révolution musicale, le club chancelle dangereusement. Fragilisé depuis 1989 suite à une overdose d’une adolescente de 16 ans entre ses murs, l’Hacienda fait face à des règlements de compte entre gangs à coups d'armes à feu et voit ses vigiles impliqués dans la vente de drogues … S’ajoute à ça le gouffre financier dans lequel s’enlise le club, qui essaye tant bien que mal de s’en sortir en augmentant le prix de ses bouteilles d’eau au bar.La fermeture définitive intervient en juin 1997. Le bâtiment est ensuite démoli en 2002, et un immeuble résidentiel portant le même nom – The Haçienda Apartments – est construit à sa place. Seconde maison d’une bonne partie de la jeunesse mancunienne pendant 15 années houleuses, il demeure à tout jamais le temple d’une révolution musicale électronique fédératrice.