Briser le cercle : près de 2 ans d'étude sur les VSSD dans les musiques électroniques et actuelles

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La première étude exploratoire menée et écrite entre octobre 2023 et février 2025 par Au-delà du club, commandée dans le cadre des cercles de parole et d’écoute de Réinventer la Nuit à Point Éphémère, est sortie. Elle visibilise les violences sexistes, sexuelles et discriminatoires (VSSD) subies par les artistes et professionnel·les de l’écosystème nocturne dans le cadre de leur travail.

L’initiative Réinventer la Nuit, née en 2023, est le fruit de la collaboration entre les artistes Paloma Colombe, Domi, Anaco et Bambi, ainsi que des associations Au-delà du club – collective et laboratoire de recherche pour des nuits plus inclusives – et Consentis – organisme de formation qui lutte contre les violences sexuelles, sexuelles et discriminatoires en milieu festif.

L’étude qualitative de plus de 80 pages, qui s’inscrit dans une démarche féministe et intersectionnelle, a été conduite auprès d’un échantillon en mixité choisie de 130 personnes (femmes cis, personnes trans et non binaires) officiellement inscrites à 11 cercles de parole et d’écoute, avec 84 participant·es effectives entre 22 et 44 ans et 46 no-shows.

L’étude constate que les VSSD forment un continuum

Un continuum, parce qu’en plus des violences physiques, les artistes subissent quotidiennement des violences verbales et symboliques, ce qui participe au maintien d’une culture violente envers les personnes sexisées et minorisées. 

«Lors de ce b2b, j'ai vraiment eu l'impression qu'il prenait toute la place. Il a commencé à prendre des directions musicales sans me les communiquer, et même à me mansplainer sur ma technique de mix, comme si je ne savais pas ce que je faisais.»

Témoignage anonyme

Les violences s’inscrivent dans un cadre spatio-temporel large

Elles ont lieu avant, pendant et après les temps de travail avec une frontière poreuse entre sphère professionnelle et intime. L’utilisation presque indispensable des réseaux sociaux pour développer la carrière des artistes est inévitablement accompagnée de violences digitales.

Tout l’écosystème est concerné :  les violences émanent de tous les corps de métier, y compris des équipes de sécurité.

Présentation de l'étude par Au-delà du club et Réinventer la Nuit au festival Nuits sonores 2025
Les personnes autrices de VSSD sont issues de tous les corps de métier

Les personnes mentionnées comme autrices de VSSD lors des cercles sont issues des équipes techniques, des équipes de sécurité, sont des artistes care, publics, pair·es, collègues, co-organisateur·ices et autres professionnel·les du secteur. Ce sont en majorité des hommes cisgenres qui occupent des postes de pouvoir, de prise de décisions ou d’influence.

«Lors de ma première alternance en label, mon supérieur - de vingt ans mon aîné - me faisait sans cesse des avances malgré mes tentatives de poser des limites.»

Témoignage anonyme

Des facteurs aggravants intrinsèques au milieu nocturne sont identifiés

On retrouve entre autres la surexposition, la banalisation et le manque de sensibilisation à la consommation d’alcool et de substances psychoactives, la perméabilité entre cercle professionnel et personnel, la double précarité structurelle (précarité de l’intermittence et des contrats du secteur souvent obtenus grâce au réseau informel, précarité économique qui complique les dénonciations), l’isolement structurel (les femmes, personnes LGBTQIA+, racisées sont souvent seules dans des environnements masculins), le silence du “boy’s club” (protection mutuelle entre pairs masculins), la fréquence des événements ou encore l’absence de protocoles safer communs dans les lieux de travail.

Les facteurs aggravants, qui peuvent être cumulatifs, participent à minimiser les violences et à ancrer le silence. Les victimes ne trouvant pas d’écho à leurs signalement s’isolent et s’auto-silencient.

«À mon arrivée dans ce club berlinois, l'artiste care avait une attitude désinhibée uniquement envers moi, pas envers les autres artistes masculins.»

Témoignage anonyme

Crédit photo : @chlonotpi
Les VSSD ont des impacts psychologiques et concrets sur les vies et les carrières des artistes professionnel·les

Les VSSD ont un effet durable sur la santé mentale des artistes. Elles provoquent des psychotraumatismes. Les impacts psychologiques peuvent être de l’épuisement émotionnel, de l’anxiété, des troubles du sommeil ou encore la perte de plaisir dans la pratique artistique. La vulnérabilité émotionnelle, le stress, l’épuisement, l’hypervigilance, le burn-out ou encore la dépression prolongée propres à la souffrance au travail sont souvent inconnus de l’entourage des victimes. 

Cela impacte le comportement des personnes concernées dans le milieu professionnel avec des difficultés pour se rendre sur leur lieu de travail, de l’auto-censure (refus d’opportunités professionnelles, de promouvoir son projet publiquement…) qui peuvent aller jusqu’à la marginalisation des artistes et une perte de rémunération. 

Pour résister et se protéger, les personnes victimes de VSSD développent des stratégies de survie ou d’adaptation, notamment la reproduction des schémas violents subis, la sidération, la fuite ou l’évitement, l’hypervigilance, la colère, l’affirmation de soi et la création d’espaces régis par ses propres valeurs, l’auto-formation et l’autonomisation ainsi que le soutien collectif, le partage d’expérience, la prise de parole publique ou l'engagement militant.

«Un collègue que je considérais comme un ami a insinué que j'obtenais des gigs uniquement parce que j'étais une meuf. Ça m'a complètement sidérée et je n'ai pas su quoi répondre. Après ça, j'ai commencé à éviter certains événements, à être dans l'hyper-vigilance même dans les cercles proches. Ça a clairement eu un impact sur mon sentiment de légitimité à travailler dans le milieu.»

Témoignage anonyme

Cercle de parole et d'écoute
"Briser le cercle" propose trois pistes d’actions concrètes 

La formation systématique et obligatoire aux VSSD (formation de tous les corps de métier, création de postes dédiés, valorisation symbolique et économique des associations de terrain qui travaillent sur ces questions).

Le soutien psychologique, l’écoute et le soin (mise en place ou renforcement de cellules psychologiques comme celles d’Audiens, sobriété dans l’environnement professionnel, soutien inconditionnel entre pair·es).

La standardisation des outils et protocoles (utilisation standardisée de safety riders et protocoles safety, multiplication des cercles de parole et d’écoute pour briser le cercle vicieux du silence et de l’isolement) grâce au partage d’une méthodologie open source.

Vers des transformations positives

«Notre but aujourd’hui est d’accompagner, d’encourager et de motiver à poursuivre dans ces carrières artistiques, tout en construisant les bases d’ environnements de travail plus sains, sécurisés et justes pour les artistes sexisées et minorisé·es.»

Au-delà du club rappelle que “Briser le cercle” est une étude exploratoire qui constitue un point de départ pour des recherches qualitatives plus approfondies sur les violences sexistes, sexuelles et discriminatoires subies par les artistes et professionnel-les de l'écosystème nocturne.

«Les musiques électroniques, ainsi que tous les espaces festifs qui en découlent, avec leur héritage de contestation sociale et politique, portent en elles le potentiel pour expérimenter et impulser des transformations positives.»

Étude complète à retrouver en libre accès ici.

Une étude de Consentis avec des données qui se concentrent sur le sentiment de sécurité chez les fêtard·es, notamment chez les personnes LGBTQIA+ sera mise en ligne courant juin également.