
DJ Schnake s’affirme comme l’une des voix les plus libres de sa génération. Elle a su imposer son propre style, pensé comme une techno féminine, engagée et énervée. Avec son all night long attendu le 18 décembre, elle confirme son ascension fulgurante.
La DJ et productrice se distingue tant par sa direction artistique espiègle que son franc-parler. Elle nous livre une vision sans filtre de la scène actuelle et de ses mutations, abordant la réalité d’une artiste dans cette industrie parfois écrasante.
Peux-tu te présenter en quelques mots et nous parler de ton parcours ?
Moi c’est Carolyne, j'ai 27 ans et vous me connaissez sous le nom de DJ Schnake. J'ai commencé le DJing il y a 3 ans en découvrant La Darude, maintenant devenue la 2Much. Je suis tombée amoureuse des sonorités Eurodance, Trance, le côté un peu kitsch et les remixes, m'inspirant des icônes pop qui me font kiffer, comme Britney Spears ou Lady Gaga.
Comment est-ce que tu définirais ton identité artistique et scénique ?
Mon identité artistique repose énormément sur le personnage de DJ Schnake, pas seulement sur ma musique. J’aime la beauté de la fête, la bienveillance, les couleurs, j’adore aussi le théâtre et l'univers drag queen. Il y ce truc de performance qui me fascine ! L’idée de “bête de foire”, mais dans le bon sens du terme, comme dans The Greatest Show de Hugh Jackman. Et aujourd'hui, mon style musical est intrinsèque à mon identité scénique, qui repose sur une performance à la fois visuelle et auditive.

Dans la scène actuelle, on voit émerger une tendance à la consommation “mainstream” des soirées. Tu ressens que les attentes du public ont évolué ?
Complètement ! La consommation de la musique et de la fête a évolué depuis mes débuts. Quand j'ai commencé à sortir, j’allais à un endroit sans connaître le line-up. J’y allais pour l'expérience, découvrir des nouvelles sonorités et être pris dans ce truc où, pendant une heure, on t'emmène quelque part. Aujourd'hui, on a un peu perdu ces aspects et on est plus sur un format concert. Les gens viennent écouter des choses qu'ils connaissent alors que pour moi, le principe d’un DJ set c'est justement de faire découvrir des choses aux gens.
Tu penses que ce phénomène est plus présent sur certaines scènes que d’autres ?
Je dirais que ce n’est pas autant mainstream en trance qu’en hard techno par exemple, mais les scènes se polarisent et certaines fusionnent relativement. Le souci c’est que maintenant on exige des DJs qu’ils soient producteurs, ce qui tue le DJing, les gens viennent te voir parce que “tes tracks sont connues”. Je me dis, est-ce qu'il y a encore de la place pour des artistes qui vont à l'encontre de ça ? Mais bon, quand je vois des KI/KI par exemple, je me rassure en me disant que la hype est réelle !
Est ce que tu parviens à t’affranchir de cette pression de jouer des morceaux plus connus pour sécuriser le public ?
Oui bien sûr ! Je ne jouerai jamais un son que je n'aime pas. Par contre, je peux choisir un track du moment et que j’apprécie pour faire effet de liant avec d'autres tracks moins connues. C'est cool d'avoir un univers, mais je pense que c'est indispensable de faire des compromis. Je compare ça avec la sexualité : il faut être à l'écoute de son partenaire. Dans ces cas-là, j’ai pas l'impression de faire du fanservice.
J'espère que je vais réussir à rester dans mes baskets, continuer de développer mon identité artistique et que les gens vont y adhérer. Mais jusqu'à présent, mon style a énormément évolué et je trouve un public autant quand je joue du hardstyle que de la trance, ou même à l'ancienne quand je jouais du Cascada !
Comment est-ce que tu fais pour ne pas te perdre dans tout ça ?
Je pense que l’important c’est de se prioriser. Justement, avoir une identité bien en place en tant qu'artiste c'est essentiel. Mais cette identité c'est pas forcément ce que je joue, c'est qui je suis moi, ce qui me plaît. Et c'est ça qu’il est important de ne pas trahir ! Mais c'est plus facile à dire qu'à faire parce que plus ça va, plus il y a de jugements.
Qu’est-ce qui explique cette évolution dans la façon de consommer les soirées selon toi ?
J'ai l'impression d'être une boomeuse en disant ça, mais je suis convaincue que c'est lié à TikTok. Quand j'ai lancé mon compte il y a 2 ans, j'étais une des premières à faire du contenu vidéo facecam. Aujourd'hui c'est devenu un indispensable ! C'est un effet de mode et même d'image. Ça ramène des plus jeunes donc le public se renouvelle, mais c’est cyclique. T’arrives à un moment donné et forcément, t'auras pas du tout la même façon de consommer ou percevoir les soirées que les générations suivantes.
Aujourd’hui, de nombreux influenceurs débarquent derrière les platines, ce qui suscite des débats. Qu’est ce que tu en penses ?
Je trouve ça un peu dégueulasse ce qui leur tombe dessus, car ils ne sont pas la cause du problème, mais plutôt une conséquence. Et c'est symptomatique de comment les gens consomment. Si j’avais la communauté qu'ils ont en ayant travaillé, tout en étant passionnée de musique et qu’un jour on me donne ma chance, j'y vais !
Par contre, ça questionne ce que devient la scène actuelle et le fait de vouloir absolument remplir. Je ne suis pas du tout d'accord avec ce principe, mais à un moment donné, ton club, il faut qu’il marche ! Donc forcément, ils bookent des influenceurs qui ramènent du monde. Mais eux sont des gens gentils qui ont l'air de se la butter, donc je pense qu'on se trompe de combat.

Qu’est ce que tu penses de la scène parisienne en particulier ?
Je suis sûrement une des rares qui défend autant la nuit parisienne. Peut-être parce que je n’ai pas beaucoup voyagé donc pas vu beaucoup d'autres choses. Mais franchement, l'offre est hyper variée sur Paris, il y en a relativement pour tous les goûts ! Je trouve aussi qu'il y a une volonté des clubs de bien faire. Typiquement, le Nexus qui devient le Noct, même si tout ne change pas il y a quand même cette envie affichée de se renouveler. Je trouve aussi que le public est plus autocritique qu'avant, les gens osent dire quand ça va pas.
Mais Paris subit beaucoup l'aspect “concert”. Aujourd'hui, une soirée est quasiment incapable de vendre ses tickets si elle n'a pas de tête d'affiche. Du coup, les soirées se ressemblent beaucoup, même si les collectifs font des choses différentes.
Dans une précédente interview, tu disais parfois sentir qu’on t’attendait “ailleurs” dans ton attitude. Qu’est ce que tu mets en place pour contrer ça ?
Je pense qu'un de mes traits de personnalité est littéralement que j'adore être là où on ne m'attend pas ! DJ Schnake, c'est avant tout un personnage ambigu. D'un côté hyper féminin et un peu bad bitch, mais en même temps je lutte contre ces stéréotypes là. J'aime pouvoir m'imposer dans un domaine plus masculin et y être respectée, même si c'est pas pour eux que je fais du son ! Cette ambiguité c’est aussi ce que représente le fait d’être une femme dans ce milieu, et finalement le combat d’une vie : avoir l’envie d’être validée pour pouvoir ensuite s’affranchir de ce besoin de validation.

Tu as d’ailleurs défini ton propre genre, la “chipie core” que tu décris comme “un mélange de trance et hard music féminine, engagée et énervée.”. Est-ce que ce genre de réappropriation engagée peut engendrer du changement dans le milieu ?
Oui et c'est complètement un de mes objectifs. Mais je suis jamais arrivée en me disant “moi je vais changer les choses”, et surtout il y a la pratique et la théorie. L’industrie est grosse, écrasante, tes convictions sont mises à rude épreuve tout le temps. C’est encore plus le cas quand t'es engagée : on en attend plus de toi et tu deviens plus exigeant avec toi-même. C'est délicat de se positionner par rapport à tout ça, mais bien sûr je caresse l'espoir d'arriver un jour à faire évoluer certaines choses !
On t’a récemment vu enflammer la Dream Nation avec le collectif 2Much, entourée uniquement d'artistes féminines. De plus en plus de soirées au line-up 100% féminin voient le jour. Est-ce que cette non-mixité peut faire la différence ?
Oui, je pense que la non-mixité peut avoir un impact positif. Pour moi, c'est le même principe que les quotas. Et puis c'est important d'avoir des lieux qui nous sont dédiés, où tu peux aller faire la fête et te sentir safe. Comme la Bringue par exemple, une soirée réservée aux meufs.
Côté artistes, je trouve que c'est trop bien aussi d'avoir des line-up 100% féminin. Mais le but c'est d'imposer certaines choses pour qu’à terme ce soit paritaire. D’ailleurs, à l'initiative de Lux il y a des groupes Insta qui ont été créés, avec des meufs DJ de tout horizon pour s'entraider. C’est important de se serrer les coudes, parce que la place est chère dans le milieu, et la sororité peut vite se transformer en compétition.
Tu as en tête des artistes qui incarnent justement une présence féminine puissante qui t’inspirent ?
KI/KI ! Il y a ce truc “effortless” chez elle que j’adore. Et quand je vois l'ambiance qu’elle met dans les warehouses, c'est hyper solaire ! Dans un autre registre, j'ai envie de te citer LESSSS. Je ne connais personne qui soulève les foules autant qu'elle ! Et comme KI/KI, elle joue pas forcément dans les “codes de la féminité” qu'on pourrait attendre d’une femme.

Tu joues bientôt un all night long au Rex Club en décembre. Ton dernier c’était à Château Perché cet été, et tu disais avec ironie sur tes réseaux : “Comment se préparer ? C’est très simple : on se prépare pas, on pleure.” Est-ce que tu appréhendes toujours autant ?
Ça a beaucoup évolué depuis ! J'ai fais l'erreur d'essayer de gagner du temps au début pour ne pas rentrer trop tôt dans le vif du sujet. Mais c'était pas une bonne idée, parce que je veux faire ce que je veux de A à Z ! Donc là je me prépare plus, et j'aime bien le faire en intellectualisant un peu. Je me dis, si j'arrive dans un club, qu'est-ce que j'ai envie d'entendre ? Qu'est-ce qui me met dedans ? À quel moment j'aimerais bien écouter autre chose ?
Comment est-ce que tu décrirais ce prochain all night long ?
Ça va clairement être la soirée de l'année, prenez vos places, j'ai un loyer à payer ! Non plus sérieusement, j'ai juste vraiment envie que les gens passent une bonne soirée. Je ne veux même pas tant qu'ils se rappellent de la musique, juste les voir sortir avec la banane !
Je vais faire un truc vraiment à mon image. Déjà, j’organise un DJ contest au début, mais en sortant de ma zone de confort. Je veux qu’on me propose des trucs, de la disco, ou même du commercial. Et pourquoi pas jouer moi aussi du commercial en ouverture, limite je commence avec Wati by Night ! En tout cas, j'espère vraiment que la soirée va sortir du lot en termes d'ambiance. J’aimerai réussir à mettre tout le monde d’accord dans le public, parce que pour moi la musique se vit aussi avec ses voisins de club.
C’est quoi ton rêve le plus fou pour la suite ?
En vrai, c'est un peu con, mais je dirais Tomorrowland pour le principe. Histoire de pouvoir drop the mic et au passage checker DJ Snake ! Même pour mes parents qui n’y connaissent rien, si je leur dis que je joue là-bas ils vont comprendre. Mais sinon j'ai pas forcément de “gros objectifs”. Je sais juste que je veux aller loin et tenter plein de choses !
Est-ce que tu peux nous laisser avec tes sons favoris du moment ?
En ce moment, je suis à fond Abba, donc je dirai Sleeping Through My Fingers. Ensuite, évidemment J'adore, mon tube à venir avec Kichta ! Je suis aussi très branchée t e s t p r e s s en ce moment, c’est de la trance un peu différente. J’essaie aussi de trouver des inspirations ailleurs, donc je suis revenue dans mon era commerciale, Lady Gaga à fond ! Et sinon, de la musique classique avec Tchaïkovski, les opéras de Mozart, la Notte di Figaro. Et dernier truc, les sets de FUMI, qui sont beaucoup plus groove.

Interview menée et rédigée par Alice Vasseur.


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