
Diggeuse invétérée à la palette de sonorités éclectique, Estelle P oscille depuis ses débuts entre ses multiples influences, de la house 90s à la techno en passant par le break et plus récemment, la progressive trance. Profondément engagée pour une meilleure représentation des femmes et minorités de genre dans les line-up, elle a lancé en 2019 son association Cahiers Électroniques pour lutter contre ce manque d’inclusion. Nous l’avons rencontrée pour savoir plus sur son parcours, ses ambitions et projets en cours.
À tes débuts, qu’est-ce qui t’a donné envie de commencer le mix, et quelles étaient tes premières influences ?
Mon cousin était DJ et j’ai vu des platines pour la première fois pendant mon enfance. J’ai tout de suite été intriguée par cette culture du mix à travers son univers. À l’adolescence, j’ai commencé à écouter plein de styles de musique différents et surtout du rock. Ça m’a donné le goût des sons noisy, lourds qui grésillent (rires). Après j’ai eu une phase r’n’b et reggaeton car j’aimais beaucoup les basses et le rythme. C’est sûrement grâce à ça que je me suis intéressée plus tard à la bass music. Après, j’ai écouté beaucoup de musiques électroniques, notamment la techno de Drexciya, la house avec Omar-S… J’ai écouté les gros classiques House US et mon voyage à New-York – où j’ai écumé pas mal de disquaires – m’a beaucoup inspirée. Je me suis ensuite intéressée à la scène électro de Rotterdam et notamment au label et shop Clone Records.
Toutes ces découvertes musicales m’ont donné envie de participer à la scène. J’ai alors rejoint l’équipe du webzine Phonographe Corp et créé ma propre rubrique : Basse Fréquence, qui avait vocation de mettre en lumière les labels et artistes souvent inconnus du public. En parallèle, je commençais à mixer avec mes vinyles à la maison, à m’entraîner avant d’essayer dans les bars et les clubs. Le confinement m’a permis d’apprendre à mixer sur CDJ et de mieux structurer mes sets, avec des tonalités qui se suivent et des tempos mieux accordés.
Aujourd’hui, dirais-tu que ton style est toujours aussi éclectique ? Est-ce que tu as un mood musical particulier en ce moment ?
Pendant le confinement, j’ai découvert la progressive trance et j’ai pas mal diggé des vinyles de ce style chez des labels et vendeurs italiens sur Discogs. J’aime bien les sonorités authentiques et ça a vraiment été une belle découverte pour moi. Je joue beaucoup ce style aujourd’hui, notamment à la dernière Boiler Room au 104 avec Nathan Zahef. Ça m’inspire beaucoup, même si je joue de la trance aujourd’hui, je garde aussi mes premières influences : électro, techno, house 90’s.
Quel est ton médium favori pour mixer ?
Ça dépend, ce n’est pas les mêmes techniques. Sur CDJ, j’aime vraiment raconter une histoire en misant sur les mêmes tonalités, j’aime bien jouer à 3 platines aussi. Sur vinyle, c’est beaucoup plus brut et je mélange souvent les styles.
Justement tu parlais de la Boiler Room, qu’est-ce que tu as ressenti pour ta première Boiler ?
Franchement, c’était incroyable, je ne vais pas m’en remettre (rires). J’ai joué avec Nathan Zahef, que j’avais déjà invité sur Hold Up Club, une soirée produite par mon asso Cahiers Électroniques. On a eu un gros coup de foudre musical et amical et on a eu l’occasion de jouer plein de fois ensemble depuis. C’était un véritable plaisir de vivre ce moment avec un pote et un artiste que j’admire.

Sur quelles scènes as-tu préféré joué depuis tes débuts ?
Une de mes premières grosses scènes à Paris, à La Centrale. J’avais joué 1h de plus que prévu, c’était au tout début de ma carrière. Je m’appelais encore STL-P à ce moment-là. Vril était en retard et j’ai dû le remplacer alors que j’avais seulement de la techno trance ou électro sur ma clef. Le promoteur m’avait dit : « Joue ce que tu veux ». J’étais stressée car mes sons étaient assez sombres, angoissants avec des gros kicks bien gras, mais finalement ça s’est super bien passé. Le public a accueilli ma musique et j’ai vraiment pu ressentir pour la première fois une connexion avec la foule.
J’ai aussi un très bon souvenir de mon expérience à « Il tempio del futuro Perduto » à Milan. J’ai grave kiffé l‘atmosphère. Il y avait un grand jardin avec un super soundsystem partout, il faisait super chaud et j’ai été très bien accueillie.
Et en troisième je dirais le Watergate, c’est là-bas que j’ai vraiment pu découvrir la culture allemande. J’y ai joué en warm-up, il y avait pas mal de monde et les gens écoutaient vraiment la musique. J’aime beaucoup l’idée que les téléphones soient cachés à l’entrée des clubs, cela favorise l’écoute du set.
Une scène, festival, club où t’aimerais vraiment jouer ?
Le festival Terraforma en Italie. J’y suis allée deux fois en tant que festivalière et éditrice pour le webzine et j’y ai vu beaucoup d’artistes qui m’inspirent : Donato Dozzy, Valentino Mora, la légende Jeff Mills… et pas mal de techno. Le cadre est incroyable. Quand tu rentres dans le festival, il y a un monument en ruines et vu que c’est un petit festival, ça donne vraiment une vibe de free party quand tu danses dans la forêt.
Peux-tu m’en dire plus sur ton expérience en tant qu’éditrice ? Pour quel webzine travaillais-tu ?
Pour Phonographe Corp ! C’est là où j’ai fait mes débuts, s’ils nous lisent je leur passe un grand bonjour (rires). J’ai vraiment découvert la musique électronique grâce aux expériences d’éditrice que j’ai pu avoir avec eux. J’avais une petite rubrique mais j’ai pu couvrir des festivals super inspirants comme le Dekmantel par exemple.
Tu ne travailles plus pour eux aujourd’hui ?
Non car je voulais fonder mon propre projet, Cahiers électroniques. C’est trop cool de bosser en collectif mais j’avais la nécessité de m’affirmer et de m’émanciper en créant un projet solo.

Est-ce que tu as déjà eu envie de produire ?
En fait, je produis déjà un peu. J’ai commencé à mixer en apprenant sur des machines que j’avais chez moi. J’essayais de reproduire les rythmes que j’entendais sur mes vinyles pour mieux comprendre leur composition. Puis, avec les livres, les interviews que j’ai regardées ou que j’ai faites, j’ai vraiment commencé à mieux comprendre les rythmes, ce que c’est un snare, un hit hat … Un pote de Phonographe Corp m’a vendu sa TR-707 et j’ai commencé à bidouiller dessus, à cerner les différents styles et éléments. Aujourd’hui, je suis sur Ableton mais pour l’instant il n’y a rien de concret (rires). J’ai fait une formation Ableton avec Ben Vedren l’automne dernier. La production est un projet qui m’attire, mais je dois dégager du temps pour m’y mettre en profondeur.
Ton engagement dans la musique électronique ne se limite pas au mix et tu as eu l’occasion de participer à plusieurs projets et notamment de créer ton association Cahiers Électroniques en 2019. Est-ce que tu peux me parler plus en détails de ce projet ?
J’ai fondé Cahiers Électroniques en 2019. Au début, j’avais une émission sur Rinse France, Hold Up Radio Show où je présentais des labels et des artistes qui m’inspiraient. C’était surtout des interviews, des histoires fictives et des extraits de morceaux sélectionnés de leur label. Puis, c’est rapidement devenu des podcasts où je présentais des DJs de l’International. Jeudi dernier, il y avait Younger Than Me par exemple mais aussi des artistes moins connus comme TPR d’hypersoft qui vient de Berlin et qui fait de la progressive trance, house.
En 2019, j’avais remarqué qu’il y avait peu de femmes dans les line-up, et j’avais envie de lancer mes propres soirées pour présenter quatre artistes, deux femmes et deux hommes, et de mélanger les styles. Au final, on s’est dit que c’était mieux de consacrer chaque soirée à un ou deux styles musicaux, en conservant la programmation de 3 ou 4 guests par date avec des artistes locaux peu représentés et des artistes internationaux qui m’inspirent beaucoup.
Et le troisième projet c’est « Inclusiv.e », anciennement « Cahiers fxminins ». Pendant le confinement, j’étais en contact avec l’association Act Right, on a beaucoup fait de réunions au sujet de l’inclusion au sein de la scène électronique. C’est un sujet qui me touche beaucoup car j’ai pris conscience de la sous-représentation des femmes dans les line-ups. Act Right avait lancé un projet de résidence streaming diffusée sur Clubbing Tv. Le but de cette résidence streaming est de proposer à trois femmes, personnes non binaires ou trans d’aller enregistrer un dj set, live ou hybrid set (de tous styles) sur Clubbing Tv. Cela favorise leur visibilité et permet de diversifier la scène électronique française. A l’origine, il y avait un message écrit par l’invité.e qui dénonçait les inégalités, diffusé en bandeau pendant le set. Peu après le début de la création de cette résidence, Act right m’a proposé de collaborer sur la programmation donc on a décidé d’appeler cette résidence « Cahiers fxminins », puis récemment « Inclusiv.e. ». C’est un projet qui me tient beaucoup à cœur aujourd’hui et qui est réalisé en collaboration avec Act right, avec une équipe de meufs bien déters dont Claire, Margot, Cannelle, Daphné, Marion aka Mamar.
Pendant le confinement, tu publiais sur Cahiers électroniques tes découvertes musicales sous la forme des Tracks of the day. Est-ce que tu fais toujours ça ? Cette sélection répondait à quel objectif ?
Pendant le confinement, je passais mes journées à digger car j’avais plus trop de taff (rires). Donc, je suis revenue à mon occupation favorite c’est-à-dire découvrir de nouvelles pépites musicales. Je me suis rendue compte qu’il y avait énormément de nouvelles productions mais qui n’étaient pas forcément mises en avant. J’ai décidé d’apporter plus de visibilité à ces nouvelles tracks en publiant une par jour, tous styles confondus, sur le compte Instagram de Cahiers électroniques. C’était à la fois une manière de partager mes recherches et de participer – à mon échelle – à mettre en lumière le travail de ces artistes et labels. Ensuite, je me suis associée avec le graphiste Gaëtan Bizien pour faire des mini clips avec un track, en demandant l’autorisation aux artistes et labels de collaborer pour cette vidéo. Ce format s’appelait « Track of the Month » et mélangeait arts visuels et musique.
Dans le cadre des soirées Cahiers électroniques il y a une grosse date qui arrive le 7 juillet au Badaboum, peux-tu m’en dire plus ? Comment as-tu construit le line-up ?
Ce sera le 7 juillet avec une tête d’affiche basée à Francfort, Maruwa. C’est une DJ et productrice qui se focalise aujourd’hui sur la progressive trance/house, breakbeat et Techno. Je l’ai découverte il y a 5-6 ans via un de ses EP électro et j’ai suivi depuis son évolution. Je trouve que c’est une super DJ et une valeur sûre. Il y aura aussi deux DJ et producteurs locaux, Nathan Melja et O Xander. O Xander c’est un gros digger quasiment full vinyles, ça fait longtemps que je connais son travail et je trouve qu’il ne joue pas assez par rapport à son talent. Et, avec Nathan Melja, ils jouent souvent en b2b, avec des sonorités techno expérimentales et House atmosphérique. Leurs univers matchent vraiment super bien. De mon côté, j’assurerai le warm-up comme souvent (rires), j’aime bien accueillir les gens au cours de mes soirées. C’est comme un petit rituel, un moment où je peux expérimenter de nouvelles choses.
Après cette date, est-ce qu’il y a d’autres projets à venir prochainement pour Cahiers électroniques ?
Alors, il y aura une autre date au Badaboum le 23 novembre, et tous les premiers mercredis du mois, retrouvez inclusiv.e sur clubbing tv !
Retrouvez Estelle P sur son compte Instagram et toutes les informations sur la date du 7 juillet sur l’événement Facebook.
