
Voici, réelle ou fantasmée, d’un mystérieux accident qui aurait provoqué la transformation de la scène musicale capverdienne. Raconté par deux compilations, “Space Echo”, “Synthetize the Soul” et le mini-docu “A Sweet Pain: The Rebel Synths of Cabo Verde”, ce mythe révélé il y a quelques années, s’il est sans doute romancé, a permis de jeter la lumière sur un courant musical singulier et peu connu des années 70, où les mélodies hypnotiques des premiers synthétiseurs analogiques se mêlaient aux rythmes traditionnels du Cap Vert.

L'histoire d'une disparition
En 1968, un cargo rempli de synthétiseurs dernière génération quitte le port de Baltimore, aux Etats-Unis. Direction le Brésil, à l’occasion de l’EMSE, l’exposition mondiale des musiques électroniques, où des marques prestigieuses comme Rhodes, Moog ou Korg exposeront fièrement leurs nouveaux instruments analogiques.
Mais le voyage ne va pas se passer comme prévu. Le bateau n’atteindra jamais les côtes brésiliennes, évaporé au beau milieu de l’Atlantique. Il faut attendre plusieurs mois et de nombreuses supputations, pour que la cargaison ne réapparaisse... A plusieurs milliers de kilomètres de là, au large du Cap Vert.
Les autorités encerclent rapidement la zone. Les curieux de l’archipel se pressent autour de l’épave. On affirme que le cargo est tout bonnement tombé du ciel. Mais après la question de l’origine vient celle de l’usage : que faire de toutes ces machines ?

Une musique prohibée
Quel curieux hasard que l’apparition d’une cargaison de synthétiseurs, dans une colonie portugaise où la musique est largement prohibée pour la population native. La pratique de styles locaux, comme le mornas, le coladeras ou encore le funana, était considérée par les autorités comme des actes de résistance contre la répression, une manifestation de joie inappropriée.
Pire, ces machines sont tout bonnement inutilisables en l’absence d’électricité, qui n’irrigue pas encore une large majorité des habitations. Sans solution, les synthés sont donc conservés dans le cargo, fermé à double tour.

Réappropriation analogique
Mais plus tard, le leader anti-colonialiste Amilcar Cabral, apprenant l’existence de la cargaison et imprégné d’une idéologie communiste certaine, tranche : celles-ci doivent être partagées équitablement entre les bâtiments de l’archipel ayant accès à l’électricité, composés pour la plupart d’écoles.
Voilà de drôles de jouets mis à la disposition des enfants capverdiens. Baignant dans les sonorités curieuses des synthétiseurs et dans la musique traditionnelle jouée sur les hauteurs de l’archipel à l’abri des colons, une génération de jeunes musiciens hors-du-commun émerge peu à peu.
Les instruments de musique étant massivement saisis et stockés dans les églises des villages, la jeunesse apprend au fil des années à reproduire les sonorités des morceaux traditionnels sur leurs machines analogiques, et les étoffer de sons cosmiques nouveaux.
Quelques années plus tard, en 1975, l’occupation portugaise touche à sa fin. Une partie des habitants de l’archipel nouvellement indépendant décide d’émigrer vers l’Europe : à Rotterdam, Lisbonne ou Paris. Les jeunes musiciens devenus adultes vont alors enregistrer les morceaux qu’ils ont jusqu’alors joué en secret, inscrivant à jamais sur les bandes magnétiques les sonorités hybrides nées au Cap Vert grâce à l’arrivée des synthétiseurs.
Histoire vraie ou récit fantasmé?
En réalité, il n’existe pas de source tangible pour affirmer que ce mystérieux accident aurait permis de bouleverser la scène capverdienne. Ce récit repose uniquement sur les mémoires des habitants, qui se remodèlent et évoluent au fil du temps.
Les sonorités cosmiques des synthétiseurs ont par ailleurs aussi imprégné les productions afro-boogie de nombreux pays d’Afrique à la même période : que ce soit l’auteur du mythique “Only You” de Steve Monite au Nigéria, Francis Bebey au Cameroun avec ses productions expérimentales, sans compter l’essor de la scène sudafricaine.
Certes précurseure et animée d’une émulsion créative, la scène du Cap Vert n’a probablement pas été transformée par un accident, mais certainement de manière plus conventionnelle.



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