
Séparer les deux espaces de La Machine pour que La Chaufferie et Le Central deviennent deux clubs à part entière? C’est la volonté de la DJ et productrice Lisa More, programmatrice de La Machine depuis 2 ans, qui souhaite donner un nouveau tremplin à la scène alternative.
En cloisonnant La Chaufferie, espace intimiste de 400 personnes, La Machine souhaite offrir plus de visibilité aux collectifs émergents et artistes newcomer dont les codes et les genres auxquels ils appartiennent, peinent à ressortir dans une scène électronique aujourd’hui trop capitalisée.
Tu as dit que ces dernières années, les “scènes alternatives et soigneusement conçues” étaient menacées. Selon toi, quand et comment est née cette menace?
La scène alternative a toujours été en danger parce qu’elle essaie de s’affranchir du système capitaliste au maximum. C’est une scène moins mise en avant, avec des artistes peu connus, peu de moyens financiers et qui va prendre des risques. Quand un club ou un festival programme des artistes de cette scène, c’est quitte ou double car les gens les connaissent moins et n'achètent pas forcément les tickets. D’ailleurs, D’ailleurs, beaucoup de lieux qui défendaient une programmation 100% alternative ont fermé ces derniers temps, je pense au 101 club à Clermont-Fd, au META à Marseille… Ainsi que tous les autres qui ont d’énormes difficultés financières. Ça marchait fut un temps, et dernièrement ça ne marche plus du tout pour plein de raisons: le public a moins d’argent et ne va plus y aller autant à l’aveugle qu’avant. Maintenant, les gens en veulent pour leur argent, ils préfèrent être sûrs d’aller écouter quelque chose qu’ils vont aimer. Et généralement, ce sont souvent des gens avec plus de visibilité, souvent des headliners. Et il n’y a plus ce truc de prendre un ticket pour une soirée à l’aveugle, juste pour découvrir.
Comment la séparation occasionnelle des deux espaces de La Machine peut favoriser une mise en avant des petits collectifs et de la scène underground ?
Dernièrement, on voit bien que c’est la course aux headliners pour les clubs et festivals. On essaye de re remplir nos espaces. À La Machine, les headliners nous assurent la vente de billets, surtout dans une grande capacité comme la nôtre. En séparant l’espace en deux, ça nous permet d’avoir une capa’ à 1000 dans le Central, dans lequel on va continuer à faire du headliner et des grosses soirées. On va pouvoir remplir plus facilement la salle du bas qui elle, a une capacité de 400. Le but, c’est que dans La Chaufferie, on remplace les headliners par des midliners, avec autour des artistes peu connus ou des newcomer qu’on a envie de propulser car la musique est top. Ce n’est pas parce que certains artistes n’ont pas de visibilité et de following sur les réseaux, qu'ils ne méritent pas un espace pour jouer, on doit mettre la musique et le talent au cœur du sujet.

Ces deux espaces seront ouverts en même temps ?
On aura les deux espaces en simultané, mais ce seront deux soirées différentes. Comme si c'était deux clubs distincts. Ça permettra aux collectifs de La Chaufferie de ne pas avoir la pression du remplissage de toute La Machine, car c’est une sacré mission et ça peut être une grosse perte financière. Remplir un club de 300-400 personnes, c’est tout de suite moins flippant qu’une capa à 1350 financièrement. On le fait pour que la Chaufferie devienne un club à part entière 3 fois par mois.
Une solution pour mettre davantage en lumière des styles méconnus?
Ce dispositif va nous aider à encore plus élargir les styles. On voit que dernièrement, la bass music (par exemple) ne remplit plus aussi facilement de si grands espaces en France, car ce n’est pas le style le plus hype ici. En ce moment, c’est plus la hard techno, la hard trance ou dans un autre registre le reggaeton (mainstream) qui fonctionnent. Tous les styles qui n’ont pas forcément cette même hype vont pouvoir être mis en valeur dans la Chaufferie. En conservant un public bien précis pour chaque chaque, on va aussi conserver l’énergie sur chaque dancefloor, on aura une salle plus compacte, avec plus d’énergie. Ça permettra peut-être au public de retomber amoureux des styles plus alternatifs qu’on leur proposera, car le prix des billets sera lui aussi un peu moins élevé donc cela laisse plus de place à la découverte.

Quelles sont les solutions immédiates et concrètes que les espaces de fêtes, les clubs peuvent mettre en place pour favoriser les scènes alternatives?
Le problème, c’est que ça dépend de l’espace du lieu. À La Machine, on a la chance d’avoir deux espaces, dont un de 400 personnes en bas. Tous les lieux n’ont pas deux salles.En revanche on peut essayer de repenser les espaces quand on a qu’une salle. Le Sucre par exemple, ont mis des rideaux pour pouvoir faire un mini club, avec une capacité moins grande. Ça leur permet de revenir à des formats plus réalistes et plus alternatifs, tout en conservant la vibe et cet effet de salle remplie. Et bien sûr, il faut continuer à booker des artistes newcomer pour leur laisser ce tremplin, c'est hyper important de leur donner cette visibilité pour se développer. Parfois, je vois des line-up ou il n’y a pas du tout de newcomers et je trouve ça dommage, ou alors j’entends qu’ils ne sont pas du tout respectés en terme d’accueil.
On note une explosion de naissance de collectifs depuis 10 ans. Certains week-end, la concurrence est rude. Est-ce que cette croissance importante joue et impact négativement la visibilité de petits crews ?
J’ai toujours été du genre à me dire “plus il y en a, mieux c’est.” Je trouve ça important qu’il y ait de plus en plus de visibilité dans la musique électronique, que ça se démocratise et que ça se dédiabolise. Ce qui me dérange vraiment, c’est la centralisation dans la capitale. À Paris, on est surblindé d'évènements tandis que dans toutes les autres villes de France, c’est en train de mourir. Je suis la première à me sentir coupable d’avoir bougé de Clermont-Ferrand. Jusqu’à mes 25 ans, j'étais contre la centralisation. Au bout d’un moment, quand j’ai fait tout ce que je pouvais dans cette ville et que je n’avais pas assez de soutien de la part de la région et de la ville, j’ai du partir. Financièrement j’avais besoin d’avoir plus de jobs. C’est un peu le problème. C’est aux régions de décider de donner plus de subventions sur place aux collectifs et aux artistes pour qu’ils décident d'arrêter de tous déménager dans la capitale. Si on était plus supportés dans les provinces, on ne serait pas tous à Paris. Je trouve qu’il y a un vrai déséquilibre. Avant, à Marseille et Clermont-Ferrand il y avait beaucoup plus de trucs, à Lyon et Saint-Etienne aussi c'était la folie… et je trouve que ça meurt petit à petit et qu’il faut vraiment que le gouvernement s’occupe de ça, car les scènes hors Paris sont extrêmement importantes.
Tu faisais quoi à Clermont-Ferrand avant de monter à Paris ?
À Clermont, je faisais la co-prog du 101, c'était mon club préféré qui a fermé en mai faute de moyens et faute de public. Le peu de public qui restait à Clermont-Ferrand préférait les évènements hard techno. C’est un style qui a pris le dessus sur absolument tout. Je n’ai pas de problème avec le style en lui-même, j’ai un problème avec le fait que ce soit autant capitalisé et que ça ai pris le monopole, car ça aussi, ça tue les scènes alternatives. Les gens ne vont plus écouter que ça et ne vont pas découvrir d’autres choses.

C’est possible de garder son essence et ses valeurs sans tomber dans l’industrie capitaliste de la fête et de la musique?
Pour moi, il faut toujours penser à l’essence de ce qu’on veut transmettre émotionnellement ou artistiquement, de manière très introspective, plutôt qu’à la com et à la visibilité sur les réseaux. En fait, il faut vraiment arrêter de penser au reach. Évidemment, c’est bien de faire une bonne com’ pour son projet. Mais tous les choix qu’on fait musicalement ne devraient pas être pensés en fonction du reach ou de la hype du moment. Mes artistes préférés sont ceux qui vont passer un message émotionnel et pas juste un produit. Je trouve que la différence se voit vraiment avec quelqu’un qui transmet un produit. Il manque un fond, une profondeur.
Les réseaux sociaux prennent trop de place?
Oui c’est certain qu’ils prennent beaucoup de place, après, ça reste un bon outil. Mais c'est hyper important de garder les pieds sur terre et de s’écouter. Il ne faut pas céder à la hype. Ça m’est arrivé quand j'étais intermittente du spectacle pendant 2 ans, à un moment, j’ai perdu ma connexion avec la musique pendant quelques mois. J'étais perdue et j’avais cette pression financière ou je devais faire le plus de cachets. J'étais vachement plus sur les réseaux à essayer de regarder ce qui marchait, ce que je pouvais faire pour avoir plus de dates. Et à un moment je me suis sentie hyper malheureuse et perdue dans mon projet. C’est pour ça que j’ai repris un taff de programmatrice, ça m’a permis de souffler par rapport à ma musique et de me reconnecter à ce que j’aimais vraiment, à ne plus être dans la course aux cachets et au reach. En suivant certaines trend on a plus de dates qui arrivent, ça fonctionne. Mais ce qu’on y perd est énorme aussi, car on perd l’essence et l’âme du projet.
Quels styles vas-tu mettre en avant dans La Chaufferie ?
Je vais remettre pas mal de bass music car c’est un style qui fait partie de l’essence de La Machine. Quand je dit bass music c’est très global, c’est un peu comme la vibe des Quartiers Rouges. « J’ai aussi très envie de faire des formats concerts avec du trip hop, du krautrock, de la cold wave, de la dub… Les styles qu’on voit tourner dans nos chers micro-festivals français en été par exemple. Aussi mettre en avant la scène emo et goth que j’adore. Faire plus de live, toutes ces choses là passeraient trop bien dans une salle comme La Chaufferie.
Quand est-ce que le public pourra tester ce nouveau format?
Le premier test sera le 28 novembre avec le collectif Halfpipe en haut et une Quartiers Rouges en bas avec Nick Leon en live. On va d’ailleurs faire passer la plupart des Quartiers Rouge en chaufferie, car sur toutes nos éditions c’est la salle que les gens préfèrent, la vibe y est meilleure et on ne sera plus obligés de booker des headliners, on pourra rester dans des programmations défricheuses et un peu plus risquées, donc on va se concentrer là dessus.
Propos recueillis par Adèle Chaumette







