
Depuis 2013, Le Sucre redéfinit les codes de la fête à Lyon. Avec une programmation aussi éclectique qu’ambitieuse, des formats toujours plus originaux et une ambiance familiale qui séduit le public local, la vitrine de l’association Arty Farty est devenue incontournable dans le paysage musical français.
Alors que le club organise son premier festival en décembre prochain, on fait le point sur son histoire et son avenir, avec une partie de l’équipe de programmation et son fondateur.
Quand la fête pose ses valises à 16 mètres de haut
À l’origine du Sucre, il y a Arty Farty, l’association derrière Nuits sonores. Les organisateurs du festival lyonnais emblématique, habitués à faire vadrouiller leurs scènes éphémères de friches en friches, avaient dès le départ une ambition : prolonger les découvertes musicales tout au long de l’année, dans un lieu pérenne.

L’appel à projet lancé par la ville de Lyon pour réhabiliter le toit de La Sucrière tombe à pic. Cette ancienne usine de sucre au cœur du quartier industriel des Confluences était déjà le théâtre, en 2003, d’une soirée dans le cadre de Nuits sonores. L’occasion, donc, de boucler la boucle en revenant s’y installer, cette fois pour une durée indéterminée.
Les travaux de réhabilitation, qui débutent en 2011, relèveront d’un véritable défi pour assurer la mise aux normes de ce club hissé à 16 mètres de haut, mais laisseront place à une décennie d’aventures musicales pour le moins hautes en couleurs.

Un ingé son du nom de Laurent Garnier
Un vrai soin a alors été porté sur le système son, signé par l’entreprise californienne Meyer Sound. Et pour cause : celui qui a sélectionné et calibré l’équipement n’est autre que… Laurent Garnier. Ce dernier est “l’un des parrains du festival Nuits sonores”, pour s’y être produit dès ses premières éditions.
Il ne rate donc pas l’occasion de s’improviser ingé son du futur club, aiguillant le directeur technique grâce à son expertise unique. “C’est vraiment lui qui a apporté toute cette attention au sound system,” confirme le directeur du Sucre.

Plus tard, le parrain de la scène club reviendra y jouer des sets inoubliables, comme celui, unique, d’une soirée de la résidence Black Atlantic Club, dédiée aux musiques africaines et noires. Laurent Garnier aura préparé pendant plusieurs semaines une sélection entièrement salsa qu’il jouera dans l’intimité de la salle début novembre 2015. Un moment magique que Cédric Dujardin garde parmi ses souvenirs les plus marquants.
Le format d’un club, les codes d’un festival
Dès le départ, l’équipe du Sucre avait un objectif : insuffler les codes et les pratiques de Nuits sonores dans un lieu fixe. “L'histoire du Sucre, c'est de ne pas se définir comme un club mais comme l'émanation d'un festival, en faisant abstraction de tous les codes de la discothèque”, explique son directeur.
À la différence de certains établissements lyonnais de l’époque où le délit de faciès était fréquent, au Sucre, il n’est pas question de discrimination à l’entrée, de réservations de table, de cabine DJ ou de dresscode. “Tu t’y sens vraiment comme à la maison”, résume Pierre Zeimet, le directeur artistique.

Au Sucre, pas de billetterie sur place non plus, on réserve son ticket à l’avance. Un système qui garantit que le public planifie sa soirée, et choisit vraiment les artistes qu’il souhaite voir : comme dans un festival, on n’y vient pas par hasard. Une recette qui a fonctionné dès l’ouverture du lieu, en 2013. “Pendant neuf mois, on était complet sur toutes nos dates, se souvient Cédric Dujardin. C’était invraisemblable !” Aujourd’hui encore, le club affiche souvent complet, et la billetterie est régulièrement prise d’assaut dès sa mise en ligne.
Mais Le Sucre ne tombe pas non plus dans le penchant inverse. “Ce n’est pas un club qui est réservé à une élite pointue et techno”, décrit Pierre Zeimet. Jazz, métal, funk, rap, disco, dancehall… “On ne se met pas de frontière stylistique”, résume le membre du comité de programmation, composé de 5 personnes. Une autre spécificité du club, qui garantit une ouverture musicale tous azimuts, loin de la verticalité d’autres établissements en termes de programmation.

Le laboratoire de Nuits sonores
Le Sucre est aujourd’hui un des rares clubs en France à garder la main à 100% sur ses soirées, tout en s’entourant de collectifs et de DJ résidents : le gage d’une ligne artistique vraiment pertinente et ambitieuse. Et au fil des années, un dialogue artistique va se nouer entre le club d’Arty Farty, et son festival historique.
Si Nuits sonores va longtemps inspirer les bookings du club, comme l’occasion de prolonger ses temps forts sur le reste de l’année, l’échange se fait aussi plus récemment dans le sens inverse Certains artistes locaux révélés au Sucre parviennent par exemple à se hisser par la suite sur la scène des Nuits sonores. Et le club va également contribuer à l’éclosion de nombreux talents, parmi lesquels LB aka LABAT, Vel, ou Tauceti, rappelle l’équipe du club.

Les résidences d’artistes, souvent menées avec des DJs et producteurs locaux qui vibrent à l'unisson du club, sont aussi le moyen, pour les programmateurs, de construire un véritable accompagnement, de permettre aux artistes de développer leur univers sur le temps long.
Un rooftop qui redéfinit l’expérience du club
La terrasse du toît de la Sucrière, loin d’être une simple annexe, va aussi avoir une importance clé dans le projet du Sucre. Lieu de détente où l’on peut admirer les couchers de soleil avec une vue imprenable sur la Saône, et donc la superficie ferait rougir n’importe quel fumoir de club parisien, elle crée une vraie démarcation avec l’intérieur du club : “ça permet de sanctuariser, de sacraliser l’espace du dancefloor”, résume le directeur du Sucre, qui devient pleinement destiné à la musique et à la danse.

Au départ destiné aux soirées estivales, le bar mobile installé sur le rooftop va très vite connaître un succès lui permettant de traverser les saisons. S’y ajouteront ensuite un container food, un espace de médiation, et des stands locales du champ social ou de l'écologie, qui jouent un grand rôle dans la vie du lieu.
Avec cet espace, le club sort aussi des clichés d’un monde de la nuit sombre, confiné et exclusif, en se définissant davantage comme un lieu de vie. “La question du club ne se joue pas forcément qu’au sein de ses murs, mais aussi à l’extérieur”, théorise Cédric Dujardin. Une vitrine qui se réinvente par ailleurs chaque année avec une nouvelle scénographie.

Des expérimentations… sans limites
Hyperactive sur les bords, l’équipe a su se réinventer tout au long de la dernière décennie avec des formats toujours plus loufoques. Comme la “Ping Pong Odyssey” de 2013, ce tournoi géant né d’une réunion où le responsable com’ s’est demandé où trouver un spot pour faire du tennis de table à Lyon. S’en est suivi un championnat surréaliste au cœur du club, dont la finale s’est déroulée dans le noir complet et sur fond de techno. Un tournoi “absolument pas rentable”, mais qui aura (aussi) marqué l’histoire du Sucre.
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Et la salle en a vu d’autres : comme la fois où une artiste avait amené un gong géant de 2m de large pour une séance de méditation, ou que le groupe Dalle Béton avait littéralement fait couler du béton sur scène, dans l’euphorie générale. “C’est un de ces moments hors du temps où tu te demandes… Mais pourquoi ?” s’en amuse aujourd’hui Pierre Zeimet. “Mais en même temps, c’est un projet artistique absolument dingue !”
Le festival du Sucre, un Nuits sonores d’hiver ?
Le lancement du festival du Sucre en décembre prochain - qui recevra entre autres Marcel Dettmann, Laurent Garnier, JASSS ou encore Mézigue - a pu laisser dubitatif : pourquoi le Sucre a-t-il décidé de créer un festival en parallèle de Nuits sonores ?
“C’est un festival de quartier”, défend Pierre Zeimet. Le programmateur du club affirme “mettre en avant la scène locale”, avec un circuit tout au long des 5 jours de festival dans plusieurs lieux du quartier de la Confluence, qui a vu naître le Sucre, comme le Sonic ou le Périscope.

Le club a aussi prévu de faire revivre les formats emblématiques de son histoire, à l’image de la roller disco. Pierre Zeimet se souvient de cette soirée mémorable où le producteur canadien Caribou enflammait la piste de roller, pendant que Floating Points était aux platines. Cette année, c’est une variante “Acid on Ice” qui prendra place à la patinoire Charlemagne, en présence de Fasme, figure montante de la scène acid, en b2b avec Binary Digit.

Au final, après avoir ancré l’univers de Nuits sonores dans un lieu pérenne, Arty Farty fait désormais le chemin inverse, en délocalisant “l’état d’esprit” du Sucre. Une démarche qui anticiperait sans doute l’avenir de la club culture, dans un contexte de difficultés financières majeures dans le monde de la nuit.
“On ne sait pas de quoi l'avenir sera fait… confie Cédric Dujardin. Peut-être qu’il y aura à l’avenir une forme de difficulté à avoir un lieu en propre. Et qu’il faudra qu'on véhicule l'image du Sucre au-delà de son rooftop” Plus que jamais, l’association se place à l’avant-garde de la scène club française, et le premier festival du Sucre ne saurait y échapper.
Journaliste : Mezyan FREDJ






