Rencontre avec Halfpipe Records : "Le but, c'est d'amener la rampe à l'étape d'après pour l'Élysée Montmartre"

Lire

Dans l'effervescence de la scène électronique parisienne, Halfpipe s'est imposé comme un ovni fascinant. Un collectif qui fait dialoguer deux univers a priori antagonistes : la culture skate et la musique club. Leur signature ? Une rampe de skate plantée en plein milieu de la piste, transformant chaque soirée en spectacle vivant où les tricks répondent aux drops. Alors qu'ils s'apprêtent à investir l'Élysée Montmartre le 14 mars pour leur plus grosse date parisienne, Albré (Matthieu), Emi On Skis (Paul) et Lespol (Thomas) reviennent sur la genèse d'un projet aussi ambitieux que inclassable.

Le déclic : amener le skate dans leur univers

"C'était toujours un délire qu'on avait, on se disait qu'un jour ça pourrait bien le faire", raconte le trio à propos de l'idée de mettre une rampe en club. Le nom Halfpipe y fait référence depuis le début, mais concrétiser le concept a demandé du temps et une prise de conscience.

Le tournant survient après deux soirées organisées en skatepark, au Cosa Nostra Skat en 2023. "C'était trop bien, mais il y avait un peu un truc de... on arrivait dans le skatepark avec des gros sabots, pas trop de légitimité pour mettre de la musique", expliquent-ils. C'est lors d'une soirée au Point Éphémère, l'été suivant, que tout s'éclaire. Des skaters de leur team débarquent tôt et commencent à rider sur le mobilier du club. "C'est là qu'on s'est dit : il y a un truc à faire", se souviennent-ils.

La révélation est simple : "On ne veut pas amener notre musique dans l'univers du skate mais le skate dans notre univers musical", résument-ils.

L'ADN UK : bass, garage et énergie brute

Leur attachement à la scène britannique UK garage, bass music, breaks vient de loin. "Ce sont des sonorités qui nous ont toujours beaucoup parlé, beaucoup écouté toute la scène anglaise, tous les artistes qui viennent de là", confient-ils.

Cette musique résonne chez eux pour plusieurs raisons. "La musique qu'on joue est particulièrement hybride et emprunte à beaucoup de styles différents", analyse le collectif. Rock, indie, sonorités variées : "Je trouve qu'on s'y retrouve aussi tous là-dedans via justement toutes ces influences qui sont très variées", poursuivent-ils.

Les breaks et la bass créent une dynamique qui colle au skate. "Il y a un truc plus déconstruit, plus un peu montagne russe que des sets plus linéaires de techno", expliquent-ils. Cette énergie fait aussi écho à leur passé. "On venait à des concerts de rock quand on était petits, on faisait des pogos, on jouait dans des groupes de rock. Dans le club, c'est vrai que l'on retrouve moins cette énergie qu'on a voulu recréer ça dans nos évènements", racontent-ils.

Ils se sont lancés au bon moment. Début 2023, le trio formé par Skrillex, Fred Again et Four Tet a propulsé sur le devant de la scène toute une esthétique garage, break et bass. "Ça a décomplexé la scène à un moment", soulignent-ils. À Paris, ce style restait encore peu représenté dans les événements. L'hybridation des genres musicaux que l'on retrouve même dans la pop ultra-bass de Charli XCX a gagné du terrain ces dernières années. Halfpipe a surfé sur cette vague naissante tout en nourrissant son identité propre.

La rampe : la signature

Depuis novembre 2023 et la première soirée avec rampe, elle est devenue leur marque de fabrique. Mais ils refusent d'en être prisonniers. "C'est vraiment un équilibre qu'on essaye de garder effectivement il y a les influences skate, il y a les soirées avec la rampe, mais il y a aussi tout le reste. Que l'un prenne pas le pas sur l'autre", insistent-ils.

La magie opère à chaque fois. "Le public arrive, il est happé par la rampe, par ce qu'il se passe. Il faut un peu de temps au début, t'as du mal à prendre la foule parce que les gens sont attentifs au skate. Et après, petit à petit, l'énergie de ce qui se passe sur la rampe, des skaters, des tricks, avec la musique, avec le fait que le public rentre dedans, il y a vraiment une espèce de jeu où tout se répond et c'est ouf", décrivent-ils.

Élysée Montmartre : le show à l'étape supérieure

L'Élysée Montmartre marque un tournant. "Le but, c'est d'amener le show à l'étape d'après pour l'Élysée Montmartre", affirment-ils. Nouvelle rampe, nouveau light show.

Musicalement, la soirée s'articulera autour de trois DJ sets et de guests internationaux, construisant une progression de 18h à 23h. Mais le véritable défi se situe ailleurs : comment transformer cinq heures de skate en un spectacle captivant sans sacrifier la spontanéité qui fait l'âme du projet ? "On ne veut pas chorégraphier. On veut que pour le public ça reste intéressant, que ça match aussi la dynamique de la musique", expliquent-ils. La réflexion se mène main dans la main avec la team skate qui a participé à la tournée précédente.

Car les leçons ont été nombreuses. Chaque date a révélé de nouveaux ajustements nécessaires : des retours de son sur scène pour que les skaters captent l'évolution de la musique, le nombre optimal de personnes sur la rampe pour éviter l'embouteillage tout en maintenant l'énergie, la gestion des retours son, l'équilibre du light show... "On a eu des problèmes de light, des trucs où parfois la rampe était complètement éteinte", se souviennent-ils.

L'équation est délicate : offrir un véritable spectacle tout en préservant l'essence même du skate. "Le but c'est vraiment de garder l'énergie brute du skate. C'est ce qui fait le format, ce qui colle à la musique. Le tout en essayant de faire le meilleur show possible", détaillent-ils.

L'humain comme scénographie

Leur approche esthétique reste volontairement brute. "On a réfléchi, on veut pas avoir une rampe qui soit magnifique, une rampe en verre transparent ou autre'. On ne veut pas forcément ça", précisent-ils. La nouvelle rampe sera "plus grande, avec une plus belle courbe, qui est plus large, un peu esthétique tout en gardant le côté brut", décrivent-ils.

Cette brutalité a du sens. "Si tu sens que sur scène ça se passe trop bien, qu'ils skatent, qu'ils prennent du bon temps et qu'ils se sentent aussi un peu comme tous les jours quand ils skatent dans la rue avec leurs potes ou dans les skateparks, et qu'on arrive à recréer ça sur scène, le public va aussi sentir qu'il y a cette énergie qui est cool, que les skaters dégagent une bonne vibe parce qu'ils passent une trop bonne soirée", développent-ils.

La porosité entre scène et public est essentielle. "C'est vraiment un truc vivant dans le sens où c'est communautaire, immersif. Tout le monde avance un peu en même temps dans la soirée. Tu sens que tout le monde se débride un peu. Ça fait la fête sur scène aussi, ça fait la fête en bas, tous en même temps", témoignent-ils.

Certains skateurs descendent carrément dans la foule. "Il y en a qui descendent même dans le public parfois. Louis qui va wapper au milieu des gens, pour dire que c'est vraiment un show qui est très vivant", illustrent-ils. Cette dimension humaine les distingue. "C'est un truc humain à l'ère du digital. Là, c'est des humains qui font vraiment la scénographie. C'est comme quand t'as des performeurs sur scène, quand t'as des danseurs", comparent-ils.

Format concert : élargir l'audience

Le choix du format concert répond à une volonté d'ouvrir. "Il y a plein de gens qui aiment cette musique ou qui ont envie de voir le show et qui ne vont pas forcément aller en club parce qu'ils n'ont pas envie de sortir tard... Nous, on trouve ça cool de pouvoir proposer ça à d'autres gens dans d'autres cadres", argumentent-ils.

Lespol nous confie même : "Typiquement, mes parents vont venir pour la toute première fois depuis trois ans parce que c'est sur ces horaires" Mais attention, ce n'est pas un renoncement au club. "Il y a Élysée Montmartre, mais en parallèle il y a les Label Nights dans les villes en France, dans les villes en Europe. On fait Londres fin janvier. L'idée, c'est que ça continue, les Label Nights", précisent-ils.

Le format concert garde une âme club : cinq heures de son de 18h à 23h. "On voulait pas faire un truc où t'as genre 21h-22h30 et c'est terminé. Il y a quand même vraiment une construction comme un line-up de club", insistent-ils.

Le début d'une nouvelle ère

L'Élysée Montmartre n'est qu'un commencement. "C'est la première date d'un nouveau show qu'on présentera en festival", annoncent-ils. Les discussions sont en cours, les intérêts se manifestent. "C'est un format qui est fort", affirment-ils.

"On défend des artistes, on défend une musique", rappellent-ils. Cette musique n'est pas condamnée à vivre uniquement en club. "On pense que cette musique peut aussi être écoutée en dehors du club. On a envie qu'elle existe dans d'autres contextes", revendiquent-ils. Les formats évoluent : de plus en plus d'événements de jour émergent, les salles de concert s'ouvrent à ces esthétiques. L'Élysée Montmartre sera le test grandeur nature de cette ambition : prouver que l'énergie Halfpipe peut remplir une salle de concert et embarquer un public plus large, sans rien perdre de sa brutalité et de sa spontanéité.

"C'est un challenge", admettent-ils. Mais après trois ans à construire patiemment leur univers, à imposer une esthétique, à créer une communauté, ils sont prêts. La rampe sera plus grande, le light show plus abouti, mais l'essence reste la même : des humains qui skatent pendant que d'autres mixent, et tout le monde qui fait la fête ensemble. Simple, brut, vivant.

Toutes les informations concernant leur prochain évènement à l'élysée montmarte sont à retrouver sur leur page instagram.

Interview menée par Marie Espargiliere