Club Mate : 100 ans de nuits debout

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100 années consécutives de partage, d’audace, de teufs et de nuits debout. Club Mate a marqué une génération de clubbers aux quatre coins du monde et se positionne aujourd’hui en ambassadeur d’une fête plus responsable. À l’occasion des 100 années d’existence de cet élixir dont les propriétés sont vantées par ceux qui vivent de nuit, rencontre avec les visages derrière la fameuse boisson au maté. Au programme : de la fête, des poignées de main franco-germanophones, de la bousculade de codes et des voitures en feu.

Les premiers rayons d’aurore s’apprêtent tout juste à éclairer la contrée berlinoise. Dans un club de la capitale allemande au début des années 2000, Nicolas s’apprête à passer aux platines après avoir vu ses amis jouer au Panorama Bar. Un peu de tracas. Pour y remédier, on lui propose ce qui semble être une bière. Nicolas ne veut pas consommer d’alcool, mais on lui assure que la boisson qu’on lui tend n’en contient pas. Il découvre ce soir-là le Club Mate, une boisson qu’il n’avait encore jamais vue, jamais bue. Une sorte de légende insaisissable que seule une poignée d’habitués paraissaient connaître. 

En parlant avec des locaux, il ne s’attendait pas à découvrir deux choses : la première, c’est la popularité que la boisson avait en Allemagne. Une référence. La deuxième, c’est que c’est une petite brasserie familiale située dans une forêt en Bavière qui se charge de la production de Club Mate. Nicolas se remémore : “Attends. Ça existe pas en France ce truc” ? À l’époque, il tient le bar Zéro Zéro et décide de chercher un moyen d’approvisionner celui-ci en Club Mate, convaincu que la boisson pourrait trouver son public dans l’hexagone.

Poignées de main et bottes terreuses 

À ce moment-là, l’offre de boissons dans les clubs consiste en divers alcools et sodas comme du Perrier ou du Red Bull. Club Mate se place à la frontière entre un soft et un énergisant, permettant de bénéficier d’un coup de fouet sans compromettre sa santé. Composé à partir d’une plante provenant d’Amérique du Sud, le yerba maté, celle-ci est ensuite torréfiée pour en révéler la caféine naturellement présente dans la plante, tout en proposant une recette très faible en sucres et en calories. 

Il a fallu un petit moment pour que je trouve quelqu’un qui ramènerait des bouteilles en France”, explique Nicolas. “C’est finalement une étudiante allemande qui vivait en France que j’avais rencontrée qui a accepté. On ramenait les bouteilles dans sa bagnole et on la chargeait à fond. Sauf que la voiture n’était pas très grande et en deux semaines, je liquidais les stocks”. Il fallait changer de plan et rencontrer les producteurs de la fameuse boisson. 

C’est dans une bucolique forêt bavaroise qu’est niché le site de production de Club Mate. Nicolas doit y rencontrer l’un des membres de la famille qui produit la boisson depuis 1994. Le premier contact est froid. Il veut comprendre pourquoi la petite usine familiale n’a aucun distributeur en France et comment peut-il se fournir en Club Mate. Dans un anglais approximatif, l’allemand répond sobrement qu’ils ne travaillent qu’avec les gens qui portent les mêmes valeurs qu’eux.

Cette rencontre arrive à un moment charnière pour nous”, explique Nicolas. “Avec le Zéro Zéro, on avait pris beaucoup de positions concernant la culture et les établissements du monde de la nuit. Par conséquent, on a bénéficié de beaucoup de presse, de passages à la télé... Même le New York Times est venu nous rencontrer. On a utilisé ce contenu pour montrer au gars ce qu’on faisait. Il a bien aimé”.

Sans aucune idée derrière la tête, avec la seule intention de fournir ses bars et ses teufs, Nicolas va à la rencontre de cet homme de Bavière. Pas de business, juste la simple envie de faire profiter ses potes de ce bon plan. “Finalement, je suis tombé sur un mec assez incroyable, d’une simplicité ! Je me disais que Club Mate ça devait être à la “The World Company”, mais absolument pas”, confie Nicolas. “C’est vraiment la petite famille. Le mec est venu en bottes terreuses, et le premier truc dont il me parle, c’est de sa super caisse. Il en était fier, c’était son but dans la vie, le reste, il s’en fichait. J’ai aimé ce rapport humain, qui correspondait à l’image que je m’étais faite de la marque”. L’Allemand lui donne sa première palette de Club Mate à crédit : “Essaie, tu vois si ça marche. Tu peux t’occuper de la distribution en France”. Ils se tapent dans la main. Aucun contrat. À la cool. 

Le gérant du Zéro Zéro commence alors son projet, mais très vite, il a fallu monter une structure pour accueillir Club Mate en France. Petit à petit, Nicolas gagne la confiance de l’Allemand, qui lui présente sa femme, son frère, ses enfants. Le rapport entre les deux entités n’est pas commercial. Il est humain. “Je n’avais pas encore compris l’enjeu de développer la boisson. Je répondais à mon besoin”, admet Nicolas. “D’un autre côté, quand les gens nous parlent de Club Mate, ils pensent que ceux qui la conçoivent sont des mecs qui font la teuf et qui ont besoin d’une boisson de clubber. Quand tu vois le gars de la campagne, pas du tout dans la fame, qui arrive avec ses bottes, tu te dis qu’on est loin de la grosse techno. Et pourtant, ils sont super ouverts d’esprit”.

Anatomie d’un phénomène de club

Club Mate arrive en France, et il faut trouver sa place. Nicolas, bénéficiant du réseau de Katapult (ndlr : collectif de musique électronique proche de Ricardo Villalobos entre 2010 et 2015), commence à distiller ses cargaisons contenant la fameuse boisson. Il les envoie un peu partout, sans prendre aucun bénéfice. 

Caisses après caisses, il constate les réactions de l’univers de la nuit. Les gens sont fascinés, l’accueil est très positif. À partir de 2005, la boisson tout droit venue de Berlin incarne un nouvel Eldorado de la fête libre, ouverte et underground, prenant le pas sur Ibiza, qui elle, n’avait encore jamais connu le Club Mate. Paris se métamorphose. Le Zéro Zéro accueille des DJs de renom qui viennent jouer pour 10 euros, en tournant au chapeau. Une dynamique nouvelle transforme les clubs de la capitale, qui enlèvent leurs tables à bouteilles au profit du dancefloor. Tout se fait dans une alchimie d’ordre presque divin, qui résonnait beaucoup avec ce qui se faisait à Berlin. 

Le positionnement de Club Mate est tout particulier, même hyper-paradoxal. La boisson devient très appréciée, un vrai phénomène. Pourtant, aucun commercial ne fait la promotion de la boisson, aucune réelle stratégie de communication n’est mise en place. Seules les valeurs de la marque émergent naturellement, tandis que les effets de la boisson font leurs preuves. Ce sont les aficionados de la boisson au maté qui se chargent de promouvoir celle-ci : les hackers mettent en avant Club Mate dans leur communication, les DJs mettent en avant les bouteilles quand ils jouent, c’est même un fan de la boisson qui ouvre le compte Facebook de la marque. Ils pouvaient compter sur les meilleurs ambassadeurs possibles sans même s’en soucier réellement. Peu de marques peuvent se targuer du même exploit.

Les DJs par exemple, qui parfois réalisent des prestations de plusieurs heures jusqu’à l’aube, comptent maintenant sur Club Mate pour leur donner de l’énergie. “Quand tu as des dates entre 5 à 7 fois par semaine, tu ne peux pas te permettre de prendre de l’énergisant chimique ou de l’alcool. Ton corps ne suit juste pas”, reconnaît Nicolas. “Mais les artistes se sont mis à prendre du Club Mate, et ça, c’était bien meilleur pour leur santé. C’est bon pour le foie et les reins, c’est diurétique et ça les fait tenir toute la nuit. Le seul problème, c’est que ça donne envie de pisser. T’as un set de deux heures, t’en peux plus”.

La boisson a agi comme un levier pour toute une génération, ouvrant la fête à des publics, des âges différents. “Ce qui me fascinait, c’est que la plupart du temps, les gens allaient vers la marque et pas l’inverse. Je trouve ça fantastique que chacun s’en saisisse”, reprend-il. Le succès est tel que l’entreprise familiale qui produisait la boisson est complètement dépassée en Allemagne, au point de cesser ses partenariats. Sans le vouloir, Club Mate devient un produit symbole.


Appropriation, identification 

Quand j’ai découvert le Club Mate au Panorama Bar, je pensais que c’était une boisson conçue pour les clubs, parce que c’est écrit “Club”. Mais au début, ça s’appelait “Sekt Bronte”, relate Nicolas. Le nom Club Mate fait référence aux gentlemen clubs et aux petites guinguettes qu’on trouvait en Allemagne et où le maté était consommé. Un nom qui sonne anglais pour une boisson allemande à l’esthétique mexicaine dont le principal composant se cultive en Amérique du Sud. “C’est peut-être pour ça que la boisson a dépassé les frontières”. 

Les pénuries commencent à survenir car beaucoup ne rapportaient pas leurs bouteilles vides pour les consigner. La brasserie a donc arrêté de produire du Club Mate, conduisant à la première “Matécalypse”. Un groupe Facebook du même nom se forme, constitué d’une dizaine de milliers de personnes qui tentent de se refiler des plans pour se procurer la boisson. Il semble parfois se produire un phénomène sociologique lorsque du Club Mate est dans une pièce. Les gens retiennent souvent où est-ce qu’ils ont consommé leur première bouteille. Dans un club, pendant un Erasmus, aux abords d’un festival. Club Mate ne s’oublie pas.

La boisson au maté a aussi permis de relancer les discussions concernant la consommation d’alcool, prétendument nécessaire durant des festivals, des raves ou des concerts en club. Une sorte de stéréotype revient régulièrement : pour apprécier les musiques électroniques, il faut prendre des substances. À une époque où les gens, particulièrement les jeunes, deviennent conscients des risques liés à ces pratiques, Club Mate bouscule les codes de la fête. “Pleins de gens arrêtent de boire, mais il y a quand même une véritable pression sociale avec l’alcool en France.  En fait, si tu ne picoles pas, on te dit que t’es chiant. Le patron de l’Olympia avait arrêté de boire pour des raisons médicales et il m’avait dit : “Depuis que je bois du Club Mate, plus personne ne vient me faire chier, tout le monde pense que je bois une bière”. C’est une vraie alternative à l’alcool”, raconte Nicolas. 

Le monde de la nuit n’est d’ailleurs plus le seul à vanter les bienfaits de la boisson. Les designers, les “white-hats” (notamment le Chaos Computer Club, des hackers éthiques spécialisés dans la recherche de failles de sécurité informatique), les graphistes, remplacent par exemple le café par du Club Mate dans leur rituel matinal. 

Derrière un nom, des visages

On a très peu de turn-over chez nous. Quand y en a qui partent ça me fait de la peine parce qu’on s’aime beaucoup. L’année dernière, un des membres de l’équipe était venu m’annoncer son départ les larmes aux yeux, pris par l’émotion”, se souvient Nicolas. À mesure que Club Mate grandissait, de nouveaux visages ont fait leur apparition. L’une des premières salariées de l’entreprise, Calypso, était ingénieure en matériaux en Allemagne. Enthousiaste, elle était venue rencontrer Nicolas pour lui exprimer sa motivation de contribuer au développement de la marque.

On n’est pas forcément dans le truc des 5 ans d’études, des lettres de recommandation, du CV, tout ça. On a envie de faire des taffs qui ont du sens. Déjà, quand ton boss te dit qu’il a tenu un bar pendant 15 ans dans lequel il organisait des fêtes, tu ne peux pas te dire “Oh, chiant !”. Ou alors, t’as vraiment un problème” plaisante Nicolas. Voilà qui donne le ton. 

Tous les gens qui travaillaient à côté de nous durant l’entretien sont une vraie bande de potes dehors. Et à l’extérieur, leurs valeurs convergent avec celles qu’ils portent dans leur travail. Ils sont engagés pour l’environnement et l’écologie et se joignent souvent à des fêtes responsables. L’équipe s’est construite non pas sur la performance de ses collaborateurs, mais sur les valeurs de ceux-ci. “Par exemple, on a dépensé des centaines de milliers d’euros de notre poche sans subvention pour développer la consigne, qui profite à tout le monde. Arriver en disant que la thune n’est pas l’enjeu principal, c’est un paradoxe”. 

Prônée par Club Mate, la consigne est un système de reprise des bouteilles en verre usagées, de nettoyage et de réinsertion de celles-ci sur le circuit de vente. Réutilisées en moyenne 30 à 60 fois, le processus permet de réduire significativement la quantité d’énergie et de gaz à effet de serre produits lors de la fabrication des bouteilles. Depuis 2015, la marque agit auprès de l’ONG Zero Waste pour remettre cette pratique au goût du jour. Là encore, Club Mate prend les choses à contre-courant, et à notre avis, pour le meilleur.

Après nous les autres

Dans le quartier général de Club Mate, les éclats de rire et les histoires farfelues fusent. Alors que notre entretien touche à sa fin, Nicolas et Agathe, directrice marketing et communication de Club Mate, se remémorent les moments marquants de leur aventure.  “J’étais à un festival à Reims. Un moment, on m’a demandé si on pouvait filer du Club Mate à Thom Yorke. Je demande : “Thom Yorke... le chanteur de Radiohead ?”. Et oui, c’était lui et il kiffait la boisson”.

Nicolas se remémore aussi ses soirées au Zéro Zéro quand il a commencé à importer la boisson bavaroise dans son établissement : “Une nuit, un gars était venu mixer au bar. Vers la fin de la soirée, on commence à fermer et le DJ continuait à passer du son. Il était un peu bourré, donc je lui ai passé une bouteille de Club Mate. Le mec était tellement heureux, il a ouvert la bouteille et l’a versée sur son corps. Qui a ce rapport avec une boisson ? Une autre centaine de personnes se sont tatouées le logo de Club Mate. On a même des soldats Ukrainiens qui nous envoyaient des photos de la bouteille, transformée en cocktail Molotov”. 

Agathe nous raconte une autre anecdote qui nous a particulièrement marqués : “On avait auparavant une boutique dans le 10ème. Le soir du nouvel an pendant la période gilets jaunes, on me dit d’aller vite regarder Twitter. Là, on découvre une publication de Donald Trump devant la boutique Club Mate, face à une bagnole en feu. La légende du post disait un truc du style “Paris is burning”. Les pompiers sont arrivés et toute la presse filmait la scène. Trump nous avait offert un placement de produit”. 

Une question demeure, comment expliquer le succès de Club Mate ? Peut-être que l’une des raisons serait que l’entreprise a intégré son marché en partant du principe que les collectifs d’artistes et les amis primaient sur tout. Les choses se sont finalement installées de manière assez naturelle, car Club Mate n’a jamais transigé sur ses valeurs. Dès le début, la marque a fait le choix de la consigne, une initiative dont Club Mate est le fer de lance. Au fur à mesure, chacun commence à connaître le travail des producteurs de Club Mate et découvre la modeste brasserie bavaroise derrière la boisson.

Dès le départ, Club Mate a soutenu ce qu’on appelle aujourd’hui la fête libre : ouverte, peu chère, décloisonnée, sortie des carcans qu’on identifiait auparavant. Pour Nicolas, Agathe et l’ensemble de l’équipe Club Mate, l’objectif est clair. La consigne doit être imposée pour les emballages de boissons d’abord, mais aussi et surtout étendue à un maximum d’emballages possibles. Pour cause, à l’heure où la majorité des déchets emportés dans les cours d’eau sont des bouteilles, il semble que cette méthode soit une solution idéale : “C’est l’un des rares sujets, où, du producteur au consommateur, tout le monde doit respecter la chaîne du début à la fin de vie de la bouteille”,  décrit Nicolas. “Si quelqu’un rompt cette chaîne, ça ne marche plus. On a tous le même niveau de responsabilité. Tu es autant responsable que je le suis”. 

Un autre objectif est aussi dans le cœur d’Agathe et Nicolas : “faire une grosse fête et imposer nos valeurs dans ce milieu-là”. On revient toujours aux sources.

Antoine Pepin Mayer