IAMBP : Quand le vinyle devient acte de résistance

Lire

À 30 ans, IAMBP s'est imposée comme une figure singulière de la scène électronique française. DJ aux platines vinyle, productrice et désormais directrice de label, elle lance cette année son label Panthers On Wax, démarre sa première résidence au Café Croissant à Paris, et sort son tout premier EP sur Cosa Vostra.

Femme noire dans un univers où elle reste une exception, IAMBP refuse les assignations et revendique sa légitimité avec une lucidité rare. Elle nous parle de son passage au vinyle et de ce que cela change dans sa pratique, de ses influences éclectiques entre French Touch et minimal, de la création de son label comme acte de réappropriation d'un espace musical encore largement masculin et blanc.

ORIGINES ET IDENTITÉS

Aux origines d'une passion : l'amour du vinyle et l'attrait pour l'électro, la synthpop et la newbeat

La transition vers le vinyle n'a pas été immédiate pour IAMBP. Elle a d'abord appris en digital avant de se lancer véritablement sur les platines. "J'avais une platine vinyle au début quand j'apprenais, mais j'ai eu beaucoup de dates rapidement", explique-t-elle. Son exigence artistique l'a poussée à prendre son temps. Elle se souvient s'être dit qu'elle ne pouvait pas proposer un set vinyl sans être complètement à l’aise.

"Ça m'a pris trois bonnes années avant de vraiment sauter le pas."

Son univers sonore s'est construit progressivement, naviguant entre ombre et lumière. Elle a commencé par jouer de l'électro avec un côté très dark tech house et dark minimal, dans une ambiance spooky et Halloween. Puis un autre versant s'est révélé, plus solaire, celui de la house 90 qui tend vers la new beat, qu'elle intègre de plus en plus dans ses sets actuels.

Le véritable déclic est venu lors d'une soirée parisienne. Elle y découvre des sets avec des sons très old school, mélangeant une rythmique électro et un beat synthpop avec beaucoup de synthétiseurs. La révélation est immédiate : "Je me suis dit : putain, mais moi j'adore ça ! Ça me fait penser à des trucs comme Joy Division que j'écoutais à l'ancienne." Cette découverte l'a poussée à creuser dans cette direction. À force de diguer, elle a retrouvé plein de choses, notamment parce que de nombreux artistes ressortaient des productions dans cette veine.

Mais trouver ces pépites musicales reste un véritable défi, particulièrement à Paris. Pour l'old school, elle se tourne principalement vers Discogs. Elle a bien trouvé quelques trésors dans les bacs du sous-sol de Yoyaku ou bien dans des cartons de chez Techno Import. Notamment de la synth-pop bien dure, mais elle le reconnaît : diguer cette musique-là reste compliqué dans la capitale.

Le vinyle comme médium de prédilection : influence sur la construction des sets et approche personnelle derrière les platines

Le passage au vinyle a bouleversé sa façon de concevoir un DJ set. "Quand je jouais digital, je construisais tout track par track, même pour des B2B ou des sets de 3h. Maintenant, je construis moins comme ça parce qu'avec le vinyle, c'est pas possible.", confirme-t-elle. Cette contrainte technique est devenue une libération créative : elle accepte désormais davantage de spontanéité, tout en gardant un fil conducteur précis.

Car chaque set reste avant tout une narration.

"J'ai ce truc où je veux raconter une histoire. Ça peut paraître très cucul, mais c'est un fil rouge que j'ai dans ma tête."

L'entrée en matière est ritualisée : une track d'intro d'environ deux minutes, souvent jouée en digital, qui pose l'atmosphère. "C'est souvent un bruit, un brouhaha. Tu arrives, tu es annoncée, tu commences." Puis vient la progression émotionnelle : démarrage chill, plongée dans l'obscurité, avant de remonter vers quelque chose de plus lumineux. "J'aime beaucoup redescendre plus joyeux, plus émotionnel. J'appelle ça la pénombre, c'est pas encore le tunnel."

Cette vision du DJing va au-delà du simple divertissement. "Le but, c'est faire danser les gens, mais aussi proposer quelque chose. Faire en sorte qu'ils oublient leurs problèmes et qu'ils se disent : putain, j'ai découvert autre chose." Une ambition qui nécessite de prendre des risques, de sortir des sentiers battus.

PASSAGE À LA PRODUCTION

Le passage du DJ set à la production musicale : genèse et lancement d'un label indépendant

La production musicale s'est imposée à elle par curiosité plus que par ambition. "C'était de la curiosité. J'adore la musique, j'évolue en tant qu'artiste et je me suis dit : même si je n'arrive pas à créer quelque chose, au moins comprendre comment se génère la musique que je joue." Une démarche qu'elle aborde avec lucidité : "Je me sens plus DJ que productrice. Productrice, c'est une autre casquette et le chemin est encore long."

Le label Panthers On Wax, lui, répond à une envie plus ancienne et mûrie. "Ça fait des années que j'ai envie de le créer. Là, je me dis j'ai un peu plus de maturité, j'ai des gens qui me font confiance." "J'ai assez de recul pour lancer mon propre projet et savoir où je veux aller.”, affirme-t-elle.

Un constat l'a frappée en observant la scène : "Les labels dans cette musique-là, j'ai que des références de mecs. Je connais pas mal de labels dirigés par des hommes, mais par des femmes, quasiment pas." Elle cite Tini, Anthea, en France, ces femmes se comptent sur les doigts de la main. Pourtant, elle refuse d'en faire un étendard : "J'ai pas envie d'avoir l'étendard de 'je suis la meuf qui crée son label'. C'est juste que là, j'ai l'opportunité de le faire, j'ai envie de le faire." Me confie-t-elle.

Sa motivation première est de créer un espace de liberté pour les artistes. "Je voulais mettre en avant les artistes de l'ombre qui n'ont pas forcément la visibilité. En parlant à plusieurs productrices, il y a plein de labels qui sont assez cadrés sur ce qu'ils veulent. Moi, je voulais que les artistes soient libres de proposer la musique qui leur ressemble. Je ne vais pas leur dire 'je veux ça'."

Il y a une face A très dancefloor, un peu plus dark, EBM, New beat avec une touche électro, un peu techno. Et une face B lumière, donc mélancolique, nostalgique un peu plus synthawe, coldwave avec une touche d’électro également.Une bipolarité musicale qui fait écho à ses propres sets, créant un pont entre ombre et lumière.

Premier disque sur un label Français : décryptage de l'univers sonore et des intentions artistiques

Pour ce premier EP physique, IAMBP a choisi une direction claire : l'émotion à l'état pur. "C'est un EP full émotions. La sensualité de la synth-pop synthwave avec la rythmique de l'électro. Ce sont des tracks où je proposerais plus un closing. Un closing à moi, un closing émotions." me confie-t-elle.

Le synthétiseur y règne en maître, reflet d'une passion affirmée : "J'ai vraiment voulu mettre en avant le côté synth. J'adore les synthés, c'est ce que tu entends dans tous les morceaux que j'ai sortis. C'est vraiment un instrument que j'adore. Et puis le côté très old school."

L'EP tisse une narration sentimentale, à l'image de sa façon d'appréhender la musique : "C'est un peu une histoire d'amour. Un truc à savoir sur moi, c'est que j'imagine tous les morceaux, je vois des images dès que j'écoute quelque chose." Le processus créatif reste modeste et spontané.

Trouver sa voix a demandé du temps : "Quand j'ai commencé à produire, je produisais des trucs assez dark, mais il n'y avait pas d'âme. C'était pas moi, j'avais l'impression que je voulais un peu ressembler à ce que j'écoutais." Un mimétisme qu'elle a dû dépasser pour exister : "C'est compliqué de se faire une singularité dans ce milieu qui est rempli de producteurs, productrices talentueux."

Le doute, lui, persiste. "Même là, avec cet EP, je me demandais : est-ce que vraiment c'est bien ce que je fais ? J'avais pas de recul sur mon travail." Ses proches l'ont rassurée, et elle garde la lucidité de son parcours : "C'est pas longtemps que je produis, ça fait 4 ans. Dans un an, ce sera peut-être encore mieux.""

ANCRAGE DANS LA SCÈNE

La résidence au Café Croissant : une nouvelle étape symbolique dans le parcours artistique

Cette résidence au Café Croissant dépasse largement le cadre des simples dates récurrentes. "Je suis très heureuse d'en faire partie car ce sont des copains. J'avais pas de crew et l'agence n'est pas un crew”

La symbolique n'est pas anodine : "Ça fait cinq ans que je suis sur la scène, c'est ma première résidence, donc je suis hyper contente." Et le timing tombe à pic, puisque le collectif prend de l'ampleur. "Café Croissant commence de plus en plus à grossir. Le 15 novembre, on a un nouveau lieu, très cool, avec une capacité plus réduite, donc c'est vraiment familial." Une intimité qui correspond parfaitement à sa vision de la musique : créer du lien plutôt que de la performance.

Influences musicales et cheminement personnel vers la scène électronique

Les influences d'IAMBP dessinent une cartographie musicale riche et variée. "Ça va des premiers pas dans l'électro avec Prodigy, tout ce qui est Ed Banger avec Cassius, Gesaffelstein, la French Touch. Après, je suis passée par la house vraiment la house Chicago-Detroit avec Frankie Knuckles, Derrick May."

Le déclic électronique remonte à 2011, lors du Name Festival. "J'étais jeune, j'arrive là-bas, je suis émerveillée" Mais à l'époque, son environnement musical était tout autre : "À Amiens, dans une petite ville, il y avait quelques trucs électroniques, mais moi je traînais vraiment avec des rockers, donc c'était concerts sur concerts"

La transition s'est faite progressivement, notamment grâce au groupe Nasteen qui mêlait instruments live et synthétiseurs. Un ami lui fait alors découvrir Gesaffelstein : "J'adore ça parce qu'il y a un peu d'EBM, bien gras, et dark aussi." Cette période ouvre la porte à d'autres artistes comme The Strobes ou du projet solo dark disco du chanteur Arnaud Robotini qui l'a beaucoup inspiré à cette époque ainsi Yann Wagner.  

Rétrospectivement, elle réalise que la house faisait déjà partie de son paysage sonore familial. "Je me rends compte que j'écoutais un peu de house mais je ne savais même pas ce que j'écoutais vraiment. Quand je voyais les disques de ma mère ou de mes grands-parents, il y avait de tout. Il y avait des trucs vraiment à l'ancienne, et il y avait de la house."

La minimal est venue compléter le tableau plus tard : "Après, je me suis rapprochée de ça, la house 90, et après la minimal avec RPR, Apollonia ou bien Villalobos à fond." Un parcours qui reflète une curiosité constante et une ouverture à tous les courants de la musique électronique.

REPRÉSENTATION & ENGAGEMENT

Les femmes productrices dans l'électro et l'old school : représentation actuelle et évolution de leur présence

Le problème est structurel, coincé entre manque de visibilité et grandes figures très connues qui tournent à l'international..  

Pour autant, IAMBP refuse de se laisser enfermer dans cette seule question identitaire. "Je n'avais pas envie de tourner autour de ça. Parce que ça ne me résume pas d'être une femme." dit-elle. C'est justement cette complexité qui nourrit sa démarche avec le label : "Déjà, en tant que femme racisée, créer mon propre label, c'est mettre en avant la musique que j'aime et me réapproprier un peu cet espace musical qui est hyper masculin, blanc."

Son ambition va au-delà du simple catalogue de sorties. "Le premier disque est une manière d'annoncer cette vision à la fois brute, sensuelle et politique. Il y a plein d'artistes qui sont modelés par certains labels et qui n'arrivent pas à sortir leur propre son. J'ai clairement envie d'offrir un espace où tu peux être toi-même." confirma IAMBP.

Car pour elle, la musique ne peut être déconnectée du politique :  "La musique, c'est hyper politique. Je pense que c'est un super moyen de transmettre des choses. Les gens ont malheureusement tendance à un peu oublier d'où ça vient."

Être une femme racisée dans un milieu majoritairement masculin et blanc : réalités quotidiennes et sources de force

Le constat est sans appel : "Il n'y a pas de femmes noires qui jouent ce que je joue." Une situation d'autant plus paradoxale que l'histoire de la musique électronique est profondément ancrée dans les communautés noires. "Les musiques électroniques existent grâce à la marginalité. Des communautés noires, il y a Juan Atkins, Derrick May, Frankie Knuckles, tout ça. Ça vient de là et après, ça a été blanchi avec le temps."

Pour IAMBP occuper cet espace relève d'un acte de réappropriation. "J'ai l'impression que je suis en train de me réapproprier cet espace. C'est compliqué parce que j'ai l'impression que je dois encore plus prouver ma légitimité.” Elle inverse la perspective avec force : "Cet espace, c'est mon espace. J'ai l'impression qu'on m'a poussée dehors et que je dois tout prouver.”

Les préjugés restent tenaces, notamment sur les attentes liées à ses origines. "On m'a déjà sorti : ah, tu joues ça, mais pourquoi tu veux pas jouer de l'afro ? Une assignation qu'elle refuse catégoriquement : "Mes influences font ce que je suis aujourd'hui. Je n'ai pas à me justifier par rapport à ce que j'aime, ce que je fais."

La différence de traitement avec les hommes est flagrante “ Même pendant les sets, le regard est scrutateur : "Il y a toujours des mecs sur le côté qui vont regarder tes transitions, comme s’ils pensaient  : j'aurais pas fait ça comme ça. Soit des mecs DJ, ou des pas DJ tout court, qui sont là à critiquer” 

Face à ces obstacles constants, Océane puise sa force dans son entourage. "C'est la passion qui me fait rester et aussi parce que je suis bien entourée. Je me rends compte qu'autour de moi, il y a des personnes mal entourées qui finalement ne se reconnaissent plus. Ils changent." Elle insiste sur cette importance du soutien : "Ma force, c'est d'être bien entourée, d'avoir ma mère qui est vraiment là pour moi, mon mec qui est vraiment là pour moi ainsi que mes amis qui m’entourent si bien chaque jour et aussi de pouvoir prendre du recul."

L'expérience et la maturité jouent également un rôle crucial." J'ai 30 ans, ça fait de nombreuses années que je fais la fête et que je suis dans la musique. Maintenant j'arrive à reprendre le recul nécessaire.”

Le parcours d’IAMBP incarne une persévérance remarquable dans un univers où il faut sans cesse légitimer sa place. Entre son amour profond pour le vinyle, une exigence technique rigoureuse et une approche politique de la musique, elle avance avec sincérité, sans céder ni aux compromis ni aux classifications simplistes.

Son label, Panthers On Wax, sortira son premier disque courant début d’année 2026, en attendant, vous pourrez retrouver son tout premier EP sur Cosa Vostra (Le label Chat Noir) en cette fin d’année. 

Sinon, rendez-vous le 15 novembre pour sa première date en tant que résidente chez Café Croissant.

Interview menée et rédigée par Marie Espargiliere.